Benjamin Millepied

De l’ennui au spectacle

Certes, ce titre de chronique est un peu prétentieux. Certains diront que c’est mon caractère, d’autres, s’en amuseront je l’espère… Trois spectacles me trottent en tête depuis quelques jours, pendant lesquels je me suis ennuyée ferme.

Je ne sais pas vous, mais quand je m’ennuie au théâtre, le temps me semble insupportable. Cela commence généralement par une mauvaise entrée en matière : un décor, un costume peu seyant, ou pire un texte dans lequel je ne rentre pas. J’essaie toujours de m’accrocher un peu, disons que les vingt premières minutes sont cruciales. Après cela, je trépigne… Deux choix s’offrent alors pour moi : dormir ou rester au prix d’un énervement qui bout au fond de moi. Ah non, j’oublie un choix : sortir de la salle.

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Bon alors prenons d’abord cette dernière solution. C’est la solution indispensable dans certains cas. Comme hier soir. J’étais au théâtre de la Madeleine avec mon ami Y*** pour voir Le roi Lear avec Michel Aumont dans une mise en scène de Jean-Luc Revol (clic). Bon, on savait que ce ne serait pas exceptionnel, mais de là à ce que ce soit déplorable… La pièce est transposé dans les années 30, mais mis à part les jolis costumes, on ne comprend pas bien ce choix. Le rythme est lent, je commence à trépigner. Coup de grâce, les comédiens ne connaissent pas leur texte et on entend assez distinctement la souffleuse depuis la coulisse. Voilà 45 minutes ont suffi à me pousser vers la sortie de façon prématurée.

Pour les deux autres solutions, parfois elles se combinent très bien. Quand je suis allée il y a quelques semaines au théâtre de la Colline voir Les géants de la montagne de Pirandello, mis en scène par Stéphane Braunschweig (clic), je n’ai pas passé une bonne soirée. Là, le jeu était excellent, notamment Claude Duparfait et Dominique Reymond, admirables chacun dans leur rôle. Je n’ai pas compris la scénographie. Le gros blocos qui occupe la scène envahit l’espace, bloquait un peu le jeu des comédiens, qui sont de fait très statiques. Je n’ai pas non plus aimé les parties vidéoprojetées. Ce soir là, je ne suis pas entrée dans le texte. Pourtant le thème m’attirait plutôt : la place du poète doit-elle être dans le monde ou en dehors. Pas le bon soir sans doute. Je suis restée complètement en dehors et je n’ai pas été touchée par la poésie de la pièce.

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Quant à la danse, c’est encore pire. Quand je m’ennuie pendant un ballet, je me demande toujours ce qu’il en est pour les danseurs. Je me mets à regarder la technique comme une maniaque traquerait le grain de poussière sur un meuble. Un voile flou se glisse entre mes yeux et la scène. Je croise et je décroise les jambes. A Garnier, je regarde le plafond, en cherchant un détail que je ne connais pas encore. Je me suis ennuyée fortement pendant Clear, Loud, Bright, Forward, de Benjamin Millepied (clic). La musique ne m’a pas aidée. J’ai plutôt apprécié la scénographie, assez sobre et efficace. La chorégraphie m’a déplue. j’ai trouvé cela très fouilli, très gesticulant. On voyait bien ce que Millepied voulait faire : harmonie avec la musique, fluidité et féminité mise en avant. Quelque chose ne marchait pas. J’étais fatiguée de voir ces portés toujours plus vertigineux mais parfois peu élégants. Fatiguée aussi de voir les références de Millepied se succéder comme dans une copie bien rédigée. Cela manquait de folie, de pétillant. Pas chez les danseurs, la jeune génération du ballet s’est donnée à fond pour servir cette création. A revoir peut être en fin de série pour voir quelque chose de plus abouti.

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Répétitions

J’adore voir des répétitions. Parfois même plus que des spectacles. J’aime voir le costume à moitié achevé, qui tient avec des épingles. J’aime voir cette forme inachevée. Tout est en devenir, rien ne semble figé. Il y aussi cette atmosphère particulière entre le stress de la première qui approche et une ambiance décontractée nécessaire au bon déroulement du travail. Quand j’assiste à une répétition, j’ai vraiment l’impression d’être une petite souris qui s’est faufilée.

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En danse, j’écoute avec attention toutes les corrections du chorégraphe/maître de ballet. Il y a à chaque fois des conseils pour rendre la danse plus facile. Samedi 12 septembre, lors de la répétition de Thèmes et variations, Benjamin Millepied expliquait à François Alu comment porter en se déplaçant, sans prendre toute la force dans les bras. La danse est tout le temps une affaire de gestion de l’énergie. Chaque détail compte pour rendre le travail invisible. Une main qui vient se poser sur la ballerine doit être délicate « comme une tenir une tasse de thé avec deux doigts », un regard marqué ou un temps musical  qu’il ne faut pas oublier. Les danseurs s’exécutent, modifient le détail et la danse se transforme. C’est impressionnant de voir à quel point le langage corporel change avec un bras placé différemment à quelques centimètres de sa position initiale, ou une jambe qui monte en prenant l’énergie ailleurs que dans un quadriceps trop gonflé. Benjamin Millepied est un bon répétiteur qui déploie toute son énergie sur ce genre de petits détails ; il s’attache à une danse très fluide, qui marque fortement la musique et où la ballerine est mise en valeur.  La musique de Thèmes et Variations, est superbe pendant ce pas de deux, peut-être même que le public fera comme Mr B. en coulisses, fermer les yeux, écouter la musique et danser dans sa tête.

Photo Nanterre Les Amandiers

Photo Nanterre Les Amandiers

Au théâtre, il y a quelque chose du langage corporel qui se joue aussi. Lundi 7 septembre, je suis allée voir la répétition de Ça ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat au théâtre des Amandiers. Pendant le premier acte, la pièce défile. Quelques trous dans le texte, mais le début de la pièce est bien en place. C’est ensuite, dans la deuxième partie que les choses deviennent passionnante. Au micro, Pommerat règle au millimètre le placement des chaises et des comédiens sur ce grand plateau sombre. Le choix du peu de décor doit être compensé par l’occupation de l’espace des comédiens. Avec le jeu des lumières, on passe des Etats généraux, à la réunion de quartier dans Paris. Pommerat règle les tons des voix, rappelle l’importance de chaque instant pour que le spectateur comprenne ce qu’il se joue dans cette révolution. Avec l’utilisation de figurants dans la salle, il plonge le public dans une position où la distanciation n’est plus possible. Il joue avec les codes du temps, si bien que le discours produit semble intemporel. Chaque fausse note est corrigée, il réfléchit à voix haute pour savoir si il faut garder ou raccourcir. Encore une fois, la forme est encore informe et c’est passionnant de la voir se transformer sous nos yeux. Le spectacle se jouera dans quelques jours, il faudra que tout soit prêt.

Thèmes & Variations de George Balanchine, c’est à l’Opéra de Paris à partir du 22 septembre, clic
Ça ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat, c’est aux Amandiers de Nanterre à partir du 4 novembre, clic

Rentrée 2015

Voilà, il y a une semaine c’était la rentrée. Qui dit rentrée dit reprise des hostilités, mais aussi de la saison théâtrale et dansante. Ce qui me met en joie. J’ai essayé aussi de mettre en action mes résolutions : faire du yoga, reprendre la danse, se lancer dans de nouveaux projets, et aussi, écrire plus régulièrement.

Pointes chez Bloch !

Nouvelle boutique Bloch Paris photo @BlochParis

L’an dernier, faute de temps, j’ai quelque peu délaissé mon blog. J’y écrivais de temps à autre, mais cela prend tellement de temps parfois. Quand on est fatigué, les phrases ne viennent pas, on a toujours l’impression d’écrire la même chose. J’ai vu des spectacles que j’ai adorés, d’autres que j’ai détestés, sans vous en faire mention. L’écriture m’a vite manqué. C’est un exercice qui oblige à une certaine rigueur, qui oblige aussi à se poser, à ne pas avoir l’esprit qui divague. Cet été, j’ai rempli 6 carnets (oui oui j’écris toujours à la main). J’ai eu besoin de raconter l’aventure que j’ai vécue l’année dernière. Pour le moment, ce sont des bribes, des souvenirs, mais c’est là et un jour je voudrais le mettre en forme. Peut-être le partager ici.

L’an dernier, j’ai été assistante chorégraphe de Bruno Bouché. Il avait vu mon travail et il a fait le choix de travailler avec moi. J’ai vécu une expérience folle, complètement enivrante. Ce fut une aventure artistique géniale, aussi géniale que l’aventure humaine. Nous avons vécu des moments très forts, entourés de cette bande de gamins.

J’ai aussi travaillé sur le dernier film de Christophe Honoré et ce fut une autre aventure ! D’abord parce que je n’avais jamais mis les pieds sur un tournage et ensuite, parce que j’aime beaucoup le travail de ce réalisateur. J’ai fait danser 4 petites têtes blondes sous la pluie et je suis très excitée de voir bientôt le résultat. Affaire à suivre en 2016…

Cette année, c’est reprise de la danse et écriture plus fréquente sur mon blog !  Mais avant, quelques pensées à propos de la saison dernière.

J’ai adoré : voir trois Pina dans la même saison, rencontrer Russell Maliphant et voir sa soirée au TCE, les ballet party, la nouvelle boutique Bloch (je vous en parle dès cette semaine!), le groupe Grenade de Josette Baiz, la CND de José Martinez au TCE, lire les remarques des balletomanes sur Twitter, le Lac toujours le Lac encore le Lac, la soirée Kylian au TCE, commencer à apprendre le tango, Casse-Noisette toujours aussi magique, aller jusqu’à Copenhague pour voir Paquita, aller jusqu’au Japon pour voir Hervé Moreau (bon d’accord je n’y suis pas allée pour ça), les adieux de Brigitte Lefèvre, Angelica Liddell déjanté à l’Odéon, Yoann Bourgeois à Montmartre dans Paris Quartier d’été, les étés de la danse toujours aussi agréable, les débats enflammés autour des futures intentions de Benji Millepied, Jone San Martin expliquant Forsythe, et aussi tout le programme Forsythe au Festival d’Automne.

Je n’ai pas aimé : être trop fatiguée et rater près de 10 spectacles de mes abonnements, voir Pietragalla en comédienne, le Eifman Ballet au TCE, les adieux d’Aurélie Dupont, le Lied Ballet de Thomas Lebrun une impression de « déjà-vu », la dernière création d’Anne Teresa de Keersmaeker, ne pas pouvoir aller à Avignon.

Voilà, vous savez tout ou presque ! Pour mon programme à venir ce mois-ci, il y aura la soirée mixte Robbins/Balanchine/Millepied, le Pirandello mis en scène par Braunschweig à la Colline, Robert Lepage au Théâtre de la Ville.

Laura Hecquet, nouvelle étoile de l’Opéra de Paris

A l’issue de la représentation du Lac des Cygnes ce lundi 23 mars 2015, Laura Hecquet, tout juste promue première danseuse par le dernier concours de promotion, a été nommée danseuse étoile par le directeur de l’Opéra, Stéphane Lissner sur proposition du directeur de la danse, Benjamin Millepied.

Laura Hecquet

Déjà brillante dans son cygne noir lors du concours, Laura Hecquet avait déjà beaucoup d’une étoile. Elle a les lignes d’une vraie ballerine avec un très beau port de tête. Danseuse discrète, elle ne laissait pas indifférente quand elle est en scène. Pendant 10 ans sujet de l’Opéra de Paris, l’arrivée de Benjamin Millepied lui offre l’unique poste de première danseuse, si convoité depuis quelques années. Maintenant nommée étoile, elle va pouvoir montrer toutes ses qualités de solistes qu’on a pu voir ces derniers mois, notamment dans La Source, ou encore Le Chant de la Terre de John Neumeier.  Bravo à cette belle danseuse à qui on ne peut souhaiter qu’une belle carrière d’étoile, remplie de rôles et de belles rencontres artistiques !

Laura Hecquet

Laura Hecquet en quelques dates 

2000 : entre à l’école de danse de l’Opéra
2002 : est engagée dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris
2004 : Coryphée
2005 : Sujet
2006 : Prix de l’AROP
2015 : Première danseuse.

Laura Hecquet et Vincent Chaillet dans Le Chant de la Terre

 

Vidéo de sa nomination

Convergences Lac des cygnes

Du 11 mars au 9 avril 2015, l’Opéra de Paris présentera le Lac des cygnes dans la version de Rudolf Noureev. La première sera assurée par Emilie Cozette, Stéphane Bullion et Karl Paquette. Ludmila Pagliero dansera aussi ce rôle ainsi qu’Héloïse Bourdon. Ces grands ballets classiques sont l’occasion de donner la chance à des jeunes de danser, le temps d’une soirée ou deux le rôle de l’étoile. Ce sera le cas pour Sae Eun Park (distribuée le 9 avril) qui est sujet dans la compagnie. Yannick Bittencourt et Jérémy Loup Quer apprennent respectivement les rôles de Siegfried et de Rothbart. Hier à l’amphithéâtre, Elisabeth Maurin, menait la répétition du Lac des cygnes. L’ancienne étoile connaît bien le style Noureev (elle fut nommée étoile dans le rôle de Clara et dansa le Lac de nombreuses fois) et ce fut un délice de la voir expliquer et transmettre tout son art avec un large sourire.

Lac des cygnes

 

Benjamin Millepied arrive à 15h50, traverse la foule qui fait la queue pour assister à la répétition publique. Il présente la répétition, avec son style décontracté. Les danseurs entrent, ainsi que le pianiste et Elisabeth Maurin. La répétition du Lac des cygnes peut commencer. Les danseurs vont répéter le pas de 3 de l’acte III. La répétition commence et très vite, Benjamin Millepied intervient pour corriger les jeunes danseurs . Ce sont les prises dans le pas de deux qui intéressent particulièrement le chorégraphe. Pour lui « il faut toujours se mettre à la place de la fille ». Les mains doivent être élégantes, glisser dans celles du partenaire. Le placement semble aussi très important pour le chorégraphe. Il faut laisser de la place à la fille pour lui laisser l’occasion de s’envoler dans les sauts. Bref, il faut lui faciliter la vie pour la mettre en valeur. Benjamin Millepied se montre très investi, il est enthousiaste et veut tout corriger. Il prend la place du danseur pour montrer, n’hésite pas à refaire lui-même les pas. Dans une de ces interviews, il avait déclaré ne plus vouloir danser ; vraiment M. Millepied ? Il encourage ses danseurs et les félicite avec des petits mots en anglais qui font sourire l’audience.

Yannick Bittencourt et Sae Eun Park par Isabelle  Aubert

De son côté, Elisabeth Maurin transmet le style Noureev. Elle qui a travaillé au côté du maître explique le sens de la danse de celui-ci. Ainsi les bras de l’arabesque doivent exprimer une direction, vers Rothbart, ou vers Siegfried. Elle rappelle les intentions du chorégraphe, « Il faut que tu arrives comme une image » ainsi que sa chorégraphie « là c’est arabesque, puis fermer 5ème, il faut la marquer ». Avec beaucoup d’humour, elle règle les petites difficultés de chacun : « Dans ce pas de trois, on est 4 avec la cape ! ».

Après le pas de trois, on passe à l’entrée du cygne à l’acte II. C’est un passage délicat, car il faut maîtriser la pantomime qui raconte l’histoire de cette princesse prisonnière dans le corps d’un cygne. Quelques années auparavant, le public s’était délecté des explications de Patrice Bart, dans ce même amphithéâtre. Noureev a fait de la pantomime une danse raffinée, pleine de finesse. Qu’on comprenne ou non la pantomime, cette première rencontre doit être magique, électrique entre les deux danseurs. Sae Eun Park et Yannick Bittencourt dansaient pour la première fois ce passage et ils n’ont pas démérité.

Répétition Lac