Anne Teresa de Keersmaeker

Nouvelles de 2013 n°12

Retour de l’activité sur le blog après quelques semaines de pause. Pause sur le blog, ne veut pas dire pause sans danse. J’ai assisté à la représentation du Gala des écoles. Ce fut une belle soirée, l’occasion de découvrir la vitalité et l’énergie de toutes ces jeunes danseurs venus du monde entier. Les écoles du monde entier ont eu le privilège et l’honneur de défiler toutes ensemble, c’était vraiment un très beau moment.

Jeunes danseurs dans le petit foyer de la danse

J’ai aussi assisté à la rencontre avec Damien Jalet, qui était toujours aussi intéressant qu’à la répétition publique (clic). Un peu décevant cependant de ne pas avoir entendu Sidi Larbi Cherkaoui sur cette création, il aurait été intéressant de confronter leurs approches et d’en savoir un peu plus sur leur façon de créer à deux. La même semaine, la rencontre avec Marina Abramovic était tout à fait passionnante, même si elle n’avait rien à voir avec son travail qu’elle a fait pour le Boléro. Elle nous a présenté son nouveau projet et a lancé son site internet, clic. La fin de semaine m’avait permis de découvrir une première séance de travail de la soirée mixte. La soirée est très bien équilibré. Les deux Faunes sont un diptyque fascinant. L’oiseau de feu de Béjart avait fait l’objet d’un mauvais procès dans mes souvenirs. J’ai redécouvert cette pièce avec beaucoup de plaisir et je l’ai appréciée je pense, un peu plus à sa juste valeur. Quant au Boléro Cherkaoui/Jalet/Abramovic, j’ai été envoûtée par la scénographie fascinante, les lumières, la chorégraphie tournante. On est presque frustré de ne pas avoir plus yeux pour tout voir car les images sont multiples et se démultiplient sans cesse. Il était bien difficile de prendre des places pour cette soirée et je la découvrirai à la dernière le 3 juin.

Boléro Cherkaoui Jalet

J’ai revu Le petit chaperon rouge de Joël Pommerat à la Maison des Métallos, avec beaucoup de plaisir. J’ai aussi fait un visionnage d’une bonne partie de l’intégrale de Jacques Demy, j’irai bientôt voir l’expo à la cinémathèque.

Je suis allée faire un tour dans l’Allier et j’en ai profité pour découvrir le CNCS. Pour le moment, le musée ne se consacre qu’à des expositions temporaires. Costumer le pouvoir portait sur les différents costumes que l’on put retrouver dans les films, opéras qui représentent les personnages qui ont le pouvoir. On découvre les costumes des Adieux à la reine, de Jeanne d’Arc, de Vatel, d’Atys, etc. Tous plus somptueux les uns que les autres, c’est un spectacle presque vivant de voir ces costumes mis en valeur avec une très belle scénographie.

Costume de la reine dans le Lac des cygnes de Bourmeister

Pour réaliser que nous sommes bien au printemps, j’ai pris la direction de Giverny pour revoir la maison de Monet. A cette saison toutes les tulipes sont magnifiques, les parterres de fleurs sont une orgie pour les yeux. Les touristes sont peu nombreux et on peut déambuler à l’infini le long des allées fleuries ou au bord des nymphéas tant aimés du peintre. La balade fut aussi l’occasion de voir l’exposition Signac. Le peintre fasciné par Seurat, commence lui aussi à entrer dans le pointillisme pour ne plus en découdre. L’exposition est bien pensée, les techniques de Signac et ses aspirations sont bien expliquées.

Maison de Claude Monet

Le printemps boudant toujours la capitale, j’ai fait un week-end 100% expositions. Les parisiens étant en week-end, l’exposition Keith Haring paraissait presque vide. Des bâches en vinyle aux dessins dans le métro, on navigue à travers les différents engagements du peintre. Son trait reste le même et sert chaque conviction. Très prolifique, l’exposition retrace l’esprit bouillonnant de ce peintre. Il suffit de quelques mètres pour se retrouver dans le Palais de Tokyo, et voir l’exposition Julio Le Parc. Art cinétique, une autre manière de percevoir le mouvement. On a envie d’aller plus loin, alors vite on va découvrir l’expo Dynamo au Grand Palais. Un peu trop grande mais fascinante, on erre dans des labyrinthe déroutants, où les repères sont brouillés. Épileptiques s’abstenir mais pour les autres, c’est à la fois déroutant, régressif et très jouissif. A noter, la saison est ouverte pour les cartes Sésame.

  •  Les sorties de la semaine

Anna Teresa de Keersmaecker s’invite au Théâtre de la Ville avec deux spectacles. Cette semaine, juste pour quelques jours, il faut découvrir Elena’s Aria. Cette pièce est une des premières où ATDK a travaillé sur le silence. Oubliez Rain et sa musique répétitive, plongez dans un univers mystique faite de grandes voix auxquelles les corps se suspendent. Dansé par 4 femmes, la pièce est une réflexion sur le silence et la pause, en danse comme en musique.
Plus d’infos et réservations, clic

Elena's Aria (c) Herman Sorgeloos

Bien entendu vous pouvez toujours aller voir la soirée mixte à Garnier et découvrir le Boléro de Cherkaoui/Jalet/Abramovic. Les articles parleront sans doute mieux que moi de ce spectacle :

The Financial Times, Laura Cappelle, clic
Le Monde, Rosita Boisseau, Le Boléro en pleine transe cosmique, clic
Culturebox, L’opéra Garnier pris dans la transe du Boléro, clic
JOL presse, MArina Abramovic revisite le Boléro, clic
La dépêche, Un Boléro irrésistible, clic
Paris Match, Philippe Noisette, Marina Abramovic enflamme le Boléro, clic

MAG dans Le Boléro photo d'agathe Poupeney

  • En vrac

La saison 13 14 du Théâtre du Rond Point est en ligne, clic. A ne pas manquer, Dada Masilo, Golgota de Bartabas, Pippo Delbono, Aurélien Bory et Pierre Rigal, entre autres. Regardez bien la saison, d’autant que les places au Rond-Point sont vraiment abordables.

ITW de Ludmila Pagliero dans Grazia, clic

Un livre sur Eleonora Abbagnato est sorti et est en vente à la Boutique de l’Opéra de Paris, clic

En mai sur Mezzo retrouvez un programme spécial Sacre du printemps avec ceux de Béjart, Nijinsky, Gallotta, Scholz, Delente.

Revoir l’émission Architecture sur ARTE consacré au Palais Garnier, clic

Réécouter Radio Vinyle sur France Inter Avec Blanca Li, clic

  • La vidéo de la semaine

Nouvelles de la semaine du 06 juin

Les petits rats par Repetto

Bon alors ceux là il me les faut ! Ne sont-ils pas trop chous ces petits rats ? Ils ornent la nouvelle vitrine de la boutique Repetto rue de la Paix. Allez il vous reste deux jours pour voir le fabuleux Rain d’Anne Teresa de Keersmaeker, profitez-en pour faire un détour rue de la Paix.

  • La sortie de la semaine : pas de danse tous au théâtre ! 

Cette semaine, c’est le vide à Paris. Je vous conseille donc d’aller au théâtre. Jusqu’au 11 juin à la Colline, il y a deux superbes pièces de Strindberg, Créanciers et Mademoiselle
Julie
, mises en scène par Christian Schiaretti. Si les textes acerbes et caustiques de Strindberg ne sauraient vous convaincre, la mise en scène devrait finir par vous persuader. Pour Créanciers (je n’ai pas encore vu Mademoiselle Julie dans cette mise en scène), un décor vert et rouge à tomber par terre, une robe rouge qui fait tourner la tête de deux maris, un trio infernal dans une intrigue qui monte en suspens et qui se dévoile peu à peu. On est tenu en haleine du début à la fin.

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Si vous préférez une pièce plus déjantée, vous pouvez aller voir La Famille Semianyki au théâtre du Rond Point. Sorte de famille Adams moderne, la pièce montre comment cette famille de fous furieux survit dans une Russie bancale.

  • La sortie ciné de la semaine :  un baiser papillon

Juste pour y voir Nicolas Le Riche. D’accord maigre argument, mais disons que ce n’est pas comme si on l’avait beaucoup vu sur la scène de Garnier..

Bon alors le pitch, un couple qui s’aime qui d’un coup apprend une terrible nouvelle qui bouleverse sa vie. C’est une tranche de vie en somme, dans lequel notre étoile joue le rôle je vous le donne en mille d’un professeur de danse. Dans la bande annonce on l’aperçoit à 1’21. Sinon il y a plein d’autre films à aller voir, Tomboy, Le garçon au vélo, The Tree of Life, Minuit à Paris, Le chat du Rabbin, etc.

 

  • La news people de la semaine : mariage de danseurs anglais

C’est Pink Lady qui a donné l’info. Ils l’ont annoncé cette semaine Alina Cojocaru et Johan Kobborg vont se marier. Après la représentation de Manon de samedi soir, des fleurs pleuvaient sur la scène. C’était paraît-il très émouvant.

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Bill Cooper / ROH ©

 

  • Le concours du mois : entrer à l’Opéra de Paris

Le concours externe aura lieu le 4 juillet 2011. Il faut s’y inscrire avant le 18 juin.

Toutes les infos sont sur le site de l’Opéra de Paris en suivant ce lien.

Pour les filles, elles doivent présenter « Soir de fête », chorégraphie de Léo Staats, musique de Léo Delibes.

Pour les garçons, ils doivent présenter « La Belle au Bois Dormant », Acte II, 1ère variation du Prince, chorégraphie de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa, musique de Piotr Ilyitch Tchaïkovski.

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  • Le bonus vidéo de la semaine : un docu sur Noëlla Pontois

Rain, rain, rain !!

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© JMC

Lundi, après avoir été assistée brièvement à la présentation de la saison 2011-2012 au Théâtre de la Ville, dont je vous ferai un compte rendu dans la semaine, j’ai filé à l’Opéra Garnier pour assister à la pré-générale de Rain. Tout comme celle de  Roméo et Juliette, l’entrée des artistes est envahie par des groupes de scolaires.

J’attendais beaucoup de ce ballet, les danseurs avaient tous l’air très excités à l’idée de danser cette œuvre et d’y prendre beaucoup de plaisir. C’est la première grande œuvre que la chorégraphe belge donne à une autre compagnie que la sienne. Et quelle œuvre ! Moi qui adore la danse contemporaine, j’ai été servie. C’est exactement ce qui me donne envie de danser et qui me plaît.

La scène est entourée par un cercle de cordes. Quelques chaises transparentes au fond, et un sol sur lequel son tracés des lignes continues de couleurs ou des pointillés. Ce sol sert aux danseurs à évoluer dans l’espace, car les constructions d’Anne Teresa de Keersmaeker sont complexes. 7 filles, trois garçons. Les costumes sont très beaux et me plaisent beaucoup. Des dégradés du chair au rose de la jupe de Fumyo sont comme la palette de couleurs qu’il peut y avoir dans le ciel un jour de pluie. La pluie d’ATDK n’est pas triste, c’est plutôt une ode à la joie, un parcours ensoleillée sous de la pluie chaude. Les cordes qui encerclent l’espace sont plutôt rassurantes. J’ai aussi envie qu’elles s’animent, que les danseurs passent leurs bras ou leurs jambes dedans. Il faudra attendre un peu pour que l’orage se déclenche.

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© JMC

La chorégraphie est douce pour le regard. Les formes sont fluides, il y a beaucoup de balancés dans les bras, dans les jambes ou le corps tout entier. Les danseurs prennent leurs marques les uns par rapport aux autres. Ils courent, s’arrêtent. D’un coup, une force, comme un fil au milieu des omoplates vient les chercher et les fait reculer. Dans les formes de leurs bras, on imagine souvent qu’ils portent des objets imaginaires. Un joli ballon, une bulle de savon, un triangle. Tout un imaginaire se construit dans ce début de la pièce. Il y a des tensions avec le sol, il se passe quelque chose que l’on repousse pour se donner un nouveau élan ou bien qu’on enfonce pour se figer dans une attitude.

La lumière se modifie au fil du ballet, tout comme les costumes de certains personnages. D’un rose pâle on passe au fushia dans l’air, comme sur le sol. Il y a une fluidité dans les matières, dans la lumière. Tous les changements sont doux, comme une mousse ou une pluie d’été. Les xylophones, métallo-phones, piano et autres percussions forment un nuancier de sons et de gouttes de pluie. C’est un vrai spectacle que de regarder ces musiciens jouer. C’est une oeuvre complète, car le choix de cette musique est très pertinent. La musique comme la danse envahit tout les sens, la vue et l’ouïe ne peuvent se détourner de ce qui se passe sur scène. Il y a d’ailleurs aussi des changements de lumières pour la fosse d’orchestre pour que les musiciens soient parfaitement
intégrés à cette envolée. Ils sont debout, se déplacent, c’est une partition très vivante. La musique, les courses, les mouvements qui se décalquent et se transforment à l’infini, les tissus qui semblent flotter sur les corps, tout cet ensemble harmonieux forme une image démultipliée de la pluie.

Beaucoup de rebonds se mettent en place. Au début de la pièce, les pieds semblaient se plonger dans se sol, et maintenant, cela rebondit plus. Les résonances se font plus fréquentes. Le rythme de la chorégraphie s’accélère. Et toujours des courses circulaires qui viennent comme briser un cycle d’espaces géométriques plus complexes. Les échos se font dans le corps, on voit souvent des parallèles entre les bras et les jambes, mais aussi entre les danseurs entre eux. Les danseurs sont d’ailleurs très investis dans cette pièce. L’effort n’est pas visible. Ici, pas d’histoire, et pourtant les personnages ont des prénoms. Ils n’ont pas que des prénoms. Des personnalités apparaissent clairement. Ce que je ne sais pas c’est si ils viennent avec leur propre personnalité ou si un jeu leur est imposé. Ce qui est sûr, c’est que si c’est la deuxième option, Brigitte Lefèvre a fait un remarquable travail de sélection. Je retrouve les danseurs que j’aime, que l’on peut que
trop rarement apercevoir dans les grands ballets classiques. Sarah Kora Dayanova éblouit la scène, Charlotte Ranson redouble de beauté, Amandine Albisson domine sa danse à la perfection. Les sept filles s’accordent bien tout en laissant une place à chacune. Elles sont sept caractères, sept personnalités à part qui dansent ensemble, qui se regroupent dans quelques pas pour se séparer ensuite dans des solos qui se sont nourris des autres. Les regards sont complices, les sourires sont plus ou moins évocateurs d’un certain bonheur. Les tensions et les relâchés qui sont présents dans toute la chorégraphie traduisent ces regroupements qui sont des moments de tensions, d’énergies mises en commun, tandis que les solos, les trajectoires solitaires vont être ces relâchés. Chaque danseur apporte sa danse, sans jamais dénaturer la chorégraphie.

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© Julien Benhamou

Tout n’est pas sans cesse en mouvement dans Rain. Il y a des pauses, des respirations, des parenthèses. Les garçons s’assoient sur les chaises et attendent que l’espace se libère pour danser. Je n’ai pas parlé plus haut des danseurs hommes. Si j’ai souvent vu Adrien Couvez dans des ballets contemporains, ce n’est pas le cas pour les deux autres. Marc Moreau montre une belle technique et un relâché du dos que je ne lui connaissais pas. Quant à Florian Magnenet, cette danse lui va bien mieux que les rôles de prince à mèche (clin d’oeil à Fab’) dans lesquels on veut l’enfermer. Là, sa danse respire, vit.

Des pauses dans le mouvement, on passe au ralenti, à la répétition. Ces effets sont très visuels, très cinématographiques presque. Les cordes qui encerclent l’espace donne l’impression d’un enclos, d’un refuge apaisant.

Des liens se tissent entre les personnages. Ils se touchent plus qu’au début, dansent parfois ensemble ou marchent dans la même direction. Ils s’entrechoquent, les rapports en deviennent violents. Des têtes viennent de cogner, ou s’enfoncer dans des ventres. Je ne peux m’empêcher à ce moment de penser à Café Müller de Pina Bausch où les corps s’attirent et s’aimantent parfois violemment. Cette violence des corps qui chutent, qui se rencontrent va de paire avec les variations de rythme dans la chorégraphie. On oppose un groupe à une duo ou un solo, dans l’espace mais aussi dans l’énergie des gestes.

Le groupe se retrouve dans une vague qui défile. Ce passage tranche encore avec le reste et permet de relancer les danseurs dans une nouvelle énergie. La couleur sable envahit l’espace. Les pas deviennent très sensuels. Tout se colore de la chaleur de cette ambiance. Cette sensualité des corps va être suivie d’un instant givrée, où tout devient bleuté, où les corps se reflètent sur les cordes qui forment  présent un mur de glace.

Un lumière circulaire éblouit la scène et la salle. Réveil d’un rêve éveillé, la musique cesse. Les danseurs effectuent quelques pas, comme des réminiscences de ce qu’ils viennent de danser. Ils sortent en courant derrière les cordes. La dernière a le privilège de laisser traîner ses mains dans ces fils de pluie.

Je suis restée bouche bée devant ce spectacle, tant par la chorégraphie, la scénographie que par la musique. C’est un superbe cadeau qu’a fait Anne Teresa de Keersmaeker à l’Opéra de Paris. Les danseurs lui rendent bien. Il faut à tout prix que je revois cette pièce qui m’a happée de bout en bout. Il n’y a pas de mots suffisamment intenses pour en décrire la beauté.

Rain sur le site de l’Opéra de Paris..

 Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.

Steve Reich Musique
Music For 18 Musicians
Anne Teresa De Keersmaeker Chorégraphie
Jan Versweyveld Décor et lumières
Dries Van Noten Costumes

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© JMC

  • Distribution du 23 mai 2011
MARTHA Juliette Hilaire
FUMYO Sarah Kora Dayanova
URSULA Laurence Laffon
ROSALBA Christelle Granier
ALIX Charlotte Ranson
TAKA Amandine Albisson
CYNTHIA Caroline Robert
IGOR Florian Magnenet
CLINTON Adrien Couvez
JAKUB Marc Moreau

 

  • Bonus vidéo : la musique de Steeve Reich

Nouvelles de la semaine du 23 mai

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Voilà à quoi ressemblent les studios de répétitions à Garnier en ce moment. Des lignes, des points, des couleurs… intriguant non? Pas tant que ça, quand on monte une pièce avec Anne Teresa de Keersmaeker.

  • La sortie de la semaine : Rain d’Anne Teresa de Keersmaeker

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© Agathe Poupeney / Opéra de Paris

Après la rencontre avec la chorégraphe il y a quelques semaines, ce soir je vais pouvoir assister à la séance de travail. Je suis très impatiente de voir cette œuvre. Les danseurs sont tous très enthousiastes de danser cette pièce qui a l’air épuisante, mais très entrainante dans un univers nouveau.

Au passage, si quelqu’un a une place pour la générale de demain, je suis preneuse..

A lire dans Le soir, journal belge, un article sur Rain vu des coulisses de Garnier avec interview de Vincent Chaillet.

La page de l’Opéra de Paris, où vous pouvez réserver vos places. Rain a lieu jusqu’au 7 juin 2011.

Deux distributions sont en alternance :

MARTHA Valentine Colasante
FUMYO Miteki Kudo
URSULA Amélie Lamoureux
ROSALBA Ludmila Pagliéro
ALIX Léonore Baulac
TAKA Aurélia Bellet
CYNTHIA Muriel Zusperreguy
IGOR Vincent Chaillet
CLINTON Daniel Stokes
JAKUB Nicolas Paul

 

MARTHA Juliette Hilaire
FUMYO Sarah Kora Dayanova
URSULA Laurence Laffon
ROSALBA Christelle Granier
ALIX Charlotte Ranson
TAKA Amandine Albisson
CYNTHIA Caroline Robert
IGOR Florian Magnenet
CLINTON Adrien Couvez
JAKUB Marc Moreau
  • L’achat de la semaine : la ballerine Repetto pour le Japon

Ballerine pour le japon repetto

Repetto lance cette ballerine « Japon Solidarité » au prix de 165€. Les bénéfices seront reversés à la Croix rouge pour les victimes des séismes qui ont secoué le Japon. Repetto espère collecter 200 000€ avec la vente de cette BB en chèvre blanc, en collection limitée.

  • La pause gourmande de la semaine : Christophe Aribert au restaurant de Garnier

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Le chef doublement étoilé du restaurant Les Terrasses, à Uriage, dirigera le restaurant de l’Opéra Garnier qui ouvrira ses portes le 27 juin prochain. Le restaurant sera ouvert
de 7h à minuit tous les jours et on pourra y manger pour un minimum de 60€ (entrée plat dessert).

Pour postuler pour y travailler c’est par ici.

A lire, Le progrès et Le Dauphiné libéré.

  •   En vrac

Ce soir, à 18h a lieu la présentation de la saison 2011-2012 du Théâtre de la Ville.

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Le CND quand à lui présentera sa saison le mardi 24 mai à 19h.

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Samedi 28 mai, à 16h à l’amphi Bastille aura lieu une rencontre avec Wayne Mc Gregor qui fera répéter Josua Hoffalt et Alice Renavand (criiiiiii de joie!).

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Dimanche 29 mai, vous pouvez aller voir en direct du Bolshoï, au cinéma,  Coppélia.

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Allez découvrir le théâtre Dunois dans le 13ème arrondissement de Paris, qui propose un spectacle, Je suis de neige, accessible aux enfants, puisque le spectacle est donné aussi pour des scolaires. Plus d’infos sur www.theatredunois.org

  • Le bonus vidéo de la semaine : envie de traverser la Manche…

En ce moment, à Londres, on peut aller voir Manon, de Kenneth Mac Millan. Je languis de voir ce ballet l’an prochain, et je pense à tous nos amis brit que j’aime tant, qui peuvent se
régaler avec cette œuvre majeure.

Extrait de l’acte 1 avec Tamara Rojo et Carlos Acosta.

 

Rencontre avec Anne Teresa de Keersmaeker

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© ONP

La rencontre a lieu au salon Florence Gould, à l’Opéra Garnier. Je retrouve Amélie et E***. La chorégraphe et Brigitte Lefèvre mettent du temps à arriver.

Jean -Yves Kaced présente la rencontre qui commence en retard car la répétition n’était pas terminée. Il présente l’entrée au répertoire de cette pièce de la chorégraphe belge, Rain, créée en 2001, sur une musique de Steeve Reich, Music for 18 musicians.

Brigitte Lefèvre : Je crois que Jean-Yves Kaced a tout dit ! C’est très important pour le public de l’Opéra d’avoir Anne Teresa de Keersmaeker ici, avec nous. C’est une chance, je lui fais beaucoup de compliments, mais aussi quand elle n’est pas à mes côtés. Je le pense très sincèrement et je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas ce que
je pense. Elle participe de quelque chose d’important. Nous sommes une compagnie dite classique mais pas une compagnie classée ou déclassée. Nous sommes très heureux de faire des ballets du répertoire. Cela donne un contraste encore plus fort pour la danse d’avoir de grands chorégraphes. On n’est pas là pour faire une collection de chorégraphes, il faut bien les choisir avec beaucoup d’attention, de ferveur, après les avoir vus, connus à travers leurs oeuvres et de choisir le moment où c’est possible de leur demander. Un journaliste belge m’a demandé l’autre jour :
« Alors vous vous êtes battus pour avoir Anne Teresa de Keersmaeker? » Je lui ai dit que non. C’est une collaboration. On a réussi à se convaincre. Je crois que ce ballet, Rain, c’est un très beau ballet de danse. C’est un challenge incroyable pour la compagnie, je n’avais même pas réalisé quand je lui avais demandé. Je ne sais pas par quoi commencer, on peut te demander pourquoi et comment t’avais envie de faire de la danse quand tu étais petite ?

Anne Teresa de Keersmaeker : euh..

 Brigitte Lefèvre : D’accord (rires). Bon ben on ne saura jamais pour Anne Teresa a fait de la danse quand elle était petite ! Je sais que tu as
étudié la danse à Mundra .Quand on voit la qualité de la danse d’Anne Teresa, on peut rendre un hommage supplémentaire à Maurice de là où il est, et à cette école.

Comment as-tu eu envie de faire Rain ?

Anne Teresa de Keersmaeker : C’est une pièce qui date de janvier 2001. C’était mon troisième rendez-vous avec Steeve Reich. En 1983,j’ai commencé
avec Far of the 4 mouvement, c’était sa toute première composition.  C’est un compositeur américain vivant. La pièce qui a suivi, Drumming. Ce qui était exceptionnel c’est que mon parcours s’est fait en mariage avec la musique et avec les compositeurs vivants ou non vivants, la plupart sont  morts que ce soit Bach, Beethoven, Mozart, Montoverdi. Il y en a quelques uns qui sont encore vivants, comme Reich. La composition de Reich est une pièce qui fait 65 minutes. C’est rare de trouver des oeuvres courtes qui permettent de construire une danse, un défi chorégraphique. C’est avant tout une danse de groupe. C’est vraiment danser ensemble, mais en même temps, qui unit cette notion d’harmonie entre eux, où chaque danseur a un trajet individuel qui es très articulé, très spécifique. Pour moi Rain c’est un peu comme une jubilation. C’est tout le travail que j’ai fait pendant des années sur l’organisation de l’espace, les patrons sous jacents de géométrie, un vocabulaire qui est en même temps très féminin et très masculin. Comment à partir d’une phrase chorégraphique on peut faire des transformations sans fin. C’est des
phrases très abstraites, très formelles, mais en fait  qui visent quelque part, presque une narration sous jacente et je suis convaincue que les idées les pus abstraites peuvent être
incorporée par la danse. Quelque chose qui dévoile une très grande forme émotionnelle. Ce n’est pas la forme comme un but en soi, mais comme une ouverture possible vers une émotion simple et vraie.

 Brigitte Lefèvre : Alors justement parlons de ta connaissance et ton amour pour la musique. Tu as fait une pièce avec Jérôme Bel, Abschied, absolument magnifique. C’est une histoire de danse. La manière dont la pièce a été construite a fait que tu as souhaité que la plupart de tes danseurs soient là. Chaque danseur  (6 femmes et 3 hommes) qui a dansé cette pièce, a été là. C’est un vrai privilège de voir cette espèce d’échange d’artistes, la chorégraphe étant là. C’est du coup à la fois fatigant précis et comme disait Anne Teresa,  très jubilatoire. Cela va donner quelque chose de très particulier. Cela me fait penser aux conversations avec Pina Bausch, dans le sens où ces des personnalités qui partagent quelque chose.  Il y a un partage de quelque chose d’indispensable, cette structure, ce socle de danse. De ce socle il y a une construction, ensuite il y a une
pensée de la danse, il y aussi quelque chose de poétique, d’émotionnel. On n’est pas là pour jouer au jeu des comparaisons, si vous vous le faîtes c’est votre problème, mais nous c’est pas le notre. La compagnie d’Anne Teresa est magnifique. L’intérêt c’est une extrême transmission, une transformation. C’est une œuvre très singulière. Quand on parle de répertoire, ce serait dommage de ne pas faire vivre notre répertoire académique mais d’être mutilé d’oeuvres contemporaines ce serait dommageable. Quand tu vois Rain, qu’as tu eu envie de dire aux danseurs, qu’est ce que tu leur as dit ?

 Anne Teresa de Keersmaeker : On en est pas encore là. C’est une question difficile. On est dans le concret, je leur demande plus de ceci ou de
cela. Il y a une série de règles générales, comme je le disais qui sont faites pour êtres dansées ensemble. C’est une danse faite pour danser ensemble. Il faut être précis et généreux par rapport aux autres. Il faut être rentré et en soi et en même temps avoir un regard qui prend tout l’espace, et le public, et les musiciens.

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© JMC

Brigitte Lefèvre : Peut-on dire que c’est une danse de solistes ensemble ?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Oui, on peut dire ça.  Il n’y a pas de hiérarchie dans cette danse. C’est 10 solistes ensemble. C’est quelque chose de très beau vis-à-vis de cette grande vague  qui dure 65 minutes, très éprouvante physiquement,  pleine de grace et de jubilation. Il y a une très grande complexité. Je suis allée dans un délire très complexe. L’espace se ferme et s’ouvre constamment, en avant plan en arrière plan.  Ce sont des variations infinies.

Brigitte Lefèvre : Il y a une forme philosophique de l’espace pour toi ? C’est toujours très touchant quand on regarde de la danse, c’est la décalcomanie de la soliste par le corps de ballet qui intensifie le trait. Là, on peut suivre l’un puis l’autre, puis il se retrouvent ensemble, un peu comme un jeu finalement ?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Oui. C’est comme ça que je travaille. Les danseurs sont là parce que j’en suis un peu amoureuse. Il y a une harmonie
entre eux. Les gens sont là dans leur spécificité. Je travaille beaucoup sur l’organisation de l’espace. Je travaille sur la spirale, c’est une forme qui s’ouvre et se ferme.

Brigitte Lefèvre : Dans la scénographie il y a beaucoup d’inscriptions, de marques au sol, vous verrez enfin pas bien si vous êtes à
l’orchestre.  Est-ce que ce serait envisageable que ça puisse se faire sans ces marques quand les danseurs connaissent bien la pièce ?

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Anne Teresa de Keersmaeker : Non, ce serait trop compliqué. C’est trop concret.

 Brigitte Lefèvre : Parlons un peu des costumes. Toi tu es très élégante.

Anne Teresa de Keersmaeker : Ah bon, tu as vu mes bottines [elle porte des chaussures de marche]?

Brigitte Lefèvre : Mais oui ! C’est très beau ça sent le feu de bois (rires).  Tu as réussi à convaincre Dries. C’est un compagnon de route.

 Anne Teresa de Keersmaeker : Dans cette période là oui. J’ai beaucoup travaillé avec lui. C’est un grand maître qui a un grand savoir faire. Il vient d’une grande famille de tailleur à Anvers. Il a horriblement bon goût. C’est une telle élégance de travailler avec lui, parce qu’il est très flexible. Il a un regard d’aigle. Il sait très bien accompagner, il sait donner un coup de pouce. tu as l’idée et puis il dit « ah bon ». Je voulais de la couleur chair pour les costumes. Il est parti de là puis il est allé au rose puis de pousser jusqu’au fushia exubérant, moiré, argenté. C’est très naturel. Il travaille sur les couleurs, les matières, les reflets. Il a une expérience exceptionnelle. Il y a eu tout autant de travail avec le scénographe. L’espace de cordes crée un mouvement, un espace fermé et ouvert.

 Brigitte Lefèvre : On a vraiment de la chance d’avoir ce travail. C’est une autre façon de faire. C’est d’ailleurs une danse qui est techniquement très dure. C’est un série de questionnements auxquels le corps et l’esprit doivent répondre. C’est une autre façon de faire, ils sont d’ailleurs très courageux. Tu danses des fois dans tes pièces ?

Anne Teresa de Keersmaeker: Celui-ci je ne l’ai pas dansé, c’est trop difficile.(rires)

 Brigitte Lefèvre : Les danseurs sont très différents, tant par rapport à l’âge qu’à d’autres choses. Pour revenir aux costumes, je suis allée aux ateliers de costumes. J’ai jeté mon oeil, mon nez pendant les essayages. C’était très touchant de voir ces costumes et en même temps pour le responsable, il n’y avait plus les tissus choisis au
départ. Tout ce qu’il y a autour, avec, est important quand un ballet entre au répertoire. Pour les costumes, il fallait trouver d’autres matériaux, aussi beaux, mais différents. Cela m’a beaucoup intéressée. Parfois on retrouve la même chose avec la danse.

C’est une pièce de 2001, donc il y a une dizaine d’année. Comment tu la situes dans ton travail ?

Anne Teresa de Keersmaeker : C’est une pièce clé. On ne fait pas tous les jours des pièces comme cela. C’est une pièce majeure. La musique est une invitation à la danse. Il y a un sens mélodique et harmonique qui est incroyable.  C’est le point d’orgue sur tout le trajet que j’avais fait. C’était un peu comment combiner des procédés abstraits à une certaine notion de narration, un vocabulaire que j’ai construit moi même et le fusionner avec celui des danseurs. C’était un moment de grâce, en tout modestie.

 Brigitte Lefèvre : Nous avons donc une grosse responsabilité ! Là maintenant, tu vas à nouveau participer au festival d’Avignon. L’année passée tu avais présenté En atendant. Tu es souvent à des moments où on t’attends pas. Comment on peut de l’univers foisonnant de Reich passer à quelque chose de plus minimaliste avec En atendant ?

Anne Teresa de Keersmaeker : Pour faire une longue histoire courte, c’était un gros moment de remise en question. J’ai eu un trajet si intense avec la musique, j’ai eu besoin de me poser des questions simples. Qu’est ce que c’est pour moi la danse, du rapport de la danse avec la musique. Le rapport au corps aussi. C’est très beau, mais ça
peut être encore plus beau avec moins. Que peut faire le corps quand on est démuni de tout, quelle est sa force d’expression la plus radicale possible. C’est une question esthétique et presque écologique. C’est difficile de trouver une musique. J’ai fait un travail sur Bach et après cela c’était difficile de trouver une musique.

Tu sais chanter Bach toi ?

Brigitte Lefèvre fredonne.

 Anne Teresa de Keersmaeker : mais d’autres musiques tu sais chanter?

Brigitte Lefèvre : Je ne connais que les chansons réalistes !

Anne Teresa de Keersmaeker: Tu connais Edith Piaf?

Brigitte Lefèvre fredonne Non rien de rien

Brigitte Lefèvre : Personne n’a applaudi c’est dur je me défonce!(rires)

 Anne Teresa de Keersmaeker : et les beatles?

 Brigitte Lefèvre : non ! (rires)

Anne Teresa de Keersmaeker: donc j’avais envie de silence. J’allais à Avignon, alors je me suis renseignée. J’ai été fascinée, challenged. Toute la musique avant Monteverdi, je me suis sentie très proche, très éblouie par la beauté de cette musique. Le rien. On se demande dans ce passé lointain ce qui nous unit encore avec ce monde là.
Les traces de l’humanité sont elles marquées dans notre corps ?

 Brigitte Lefèvre : La danse est un art majeur, porteur de ces problématiques. Pour toi la danseur est un art porteur, par rapport aux autres formes d’art?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Oui, la danse est plus que d’autres arts, ancrée dans ce qui nous est le plus interne. Le corps, cette chose la plus concrète, peut intégrer les idées les plus abstraites. Il reste toujours le même. On est tous là avec le même corps, avec des différences, d’âge de sexe de vécu. Tout se marque dans notre corps.
C’est ce à quoi on tient le plus. On sait qu’il va disparaître, c’est notre seule certitude. On doit laisser aller le corps.

Brigitte Lefèvre : La danse n’est pas toujours considérée comme un art majeur. C’est un art fragile. Par comparaison au lyrique, où il y a beaucoup de public. Même sur un plan politique, il y a peu de théâtres dirigés par des danseurs. Tu comprends sans rentrer dans une polémique, pourquoi ?

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© JMC

 Anne Teresa de Keersmaeker : J’ai une fascination pour l’Opéra, parce que c’est lié à la voix. La voix c’est la danse la plus intérieure, c’est très intime. La voix reflète l’intérieur du corps. On ne peut rien masquer. C’est tellement intime. D’un autre côté, c’est un art coûteux, c’est l’art le plus bourgeois, depuis ces deux derniers siècles. Il y a énormément d’emballage cadeau. L’opéra c’est un art total, quand c’est beau, il n’y a rien de tel mais souvent c’est chiant. On s’endort !

 Brigitte Lefèvre : Bon on ne va pas froisser Nicolas Joël ! Mais la mise en scène d’Opéra ça ne t’intéresse pas?

 Anne Teresa de Keersmaeker : oui mais c’est pas ma priorité. Il y a une question de répertoire et tout le répertoire n’est pas intéressant. J’aime Bach mais j’aime aussi beaucoup Mozart, mais l’opéra est tellement incrusté dans un codage de traditions. C’est un gros emballage cadeau ! Et c’est difficile d’enlever tout le papier cadeau et en
plus ça coûte cher.

 Brigitte Lefèvre : Il n’y a pas une oeuvre d’opéra qui t’intéresserait?

Anne Teresa de Keersmaeker : Toutes ! Mais ça coûte beaucoup d’argent et le temps pour pouvoir chercher est très réduit.

 Brigitte Lefèvre : pas une en particulier?

 Anne Teresa de Keersmaeker : en ce moment je travaille avec rien de vocal, je suis dans le minimalisme, je suis là dedans. Je suis avant l’Opéra, sans rien de vocal. J’aime beaucoup être là dedans.

Brigitte Lefèvre : Quand on voit du ballet très abouti avec la musique avec la respiration des danseurs,  on a aussi la sensation, comme dans
l’Opéra, que quelque chose est rassemblé. Pour toi, tu imagines qu’un danseur aille au delà, par exemple dans l’expression vocale?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Je cherche là dessus. Mais il ne faut pas tout mettre d’un coup. Le jambon, le fromage, etc.. sinon c’est un sandwich pas une création.

J’ai chanté et j’ai dansé avec Jérôme Bel , mais c’était un peu différent.

Brigitte Lefèvre : Tu as dit plusieurs fois que la pièce durait 65 minutes. Je me suis posée la question si il fallait présenter la pièce avec une autre pièce ou non. Et puis c’est une pièce tellement forte, tellement dense qu’on ne peut pas y ajouter autre chose.A 8h30 vous êtes sortis, vous pouvez aller au restaurant, la baby sitter sera ravie. J’entends parfois des réflexions comme quoi c’est trop court.

 Anne Teresa de Keersmaeker : en effet on ne peut pas combiner cela avec autre chose. Ni pour les danseurs, ni pour le public. C’est très intense. C’est juste pour une soirée. Et puis avec la musique live, on reçoit beaucoup.

 Question : Quelle difficulté avez vous rencontrée pour la transmission aux danseurs de l’Opéra de Paris, ils sont très classiques?

Anne Teresa de Keersmaeker : On ne va pas changer l’écriture. C’est surtout un défi. C’est un matériel physique  très intense, surtout pour les filles je crois. Il y a beaucoup de chutes au sol. Il faut comprendre la notion d’auto-organisation. Chaque danseur a un trajet individuel, il y a besoin d’être très alerte avec les autres. C’est un triangle, il y a moi, ma danse, moi par rapport aux autres et moi par rapport au public. J’ai du bâtir cette inspiration. A travers ma danse je supporte, j’accompagne celle des autres. L’articulation avec la musique live aussi c’est un gros travail. J’ai fait un gros travail sur le vocabulaire, sur le relâchement.

Brigitte Lefèvre : Le savoir d’Anne Teresa apporte son langage, mais c’est un nouveau langage. Les danseurs de l’Opéra apprennent s’adaptent, s’approprient. C’est un autre formalisme c’est tout. Ils sont attentifs.

 Question : D’abord une remarque. Vous avez dit qu’il n’y aurait pas d’autres oeuvres qui accompagneraient Rain. Je trouve ça très bien. C’est vrai
que des œuvres comme celle là ou le Sacre c’est important de les voir seules.

 Brigitte Lefèvre : ah mais moi j’ai adoré la soirée des 3B.

 Question : moi aussi ! Mais il serait intéressant de voir le Sacre seul. Je voulais vous demander comment vous aviez choisi les danseurs, il y en a beaucoup, quels ont été vos critères?

Anne Teresa de Keersmaeker : Brigitte a fait une présélection. Ensuite on a fait quatre jours d’audition où je les ai regardé, puis on a choisi 2 casts.

 Brigitte Lefèvre : oui je les connais bien. Il faut aussi sentir leur désir. D’ailleurs c’est drôle parce que ce n’est pas forcément ceux qui avaient le plus envie qui s’en sortent le mieux. Mais c’est bien c’est des aventures de vie. Etre danseur c’est vraiment spécial.

 Question : vous avez parlé de la mort comme seule certitude, sur la conscience de notre corps. Comment la danse vous permet de réfléchir, de gérer cette conscience?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Le travail sur la danse est une réflexion, sur la nature de notre corps, la nature de notre esprit. et comment l’un se manifeste dans l’autre et vice-versa. Je pense que le corps est une matérialisation de notre esprit. C’est cela qui m’intéresse, comment concrétiser par le corps? Il y a un très beau poème Amor constante de Quevedo dont la dernière phrase est « les poussières seront mes poussières amoureuses ».

Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.

Steve Reich Musique
Music For 18 Musicians
Anne Teresa De Keersmaeker Chorégraphie
Jan Versweyveld Décor et lumières
Dries Van Noten Costumes