Agnès de Mille

Soirée Birgit Cullberg / Agnès de Mille

L’Opéra de Paris présente sa deuxième soirée mixte avec un programme 100% féminin. Féminin par ses chorégraphes, Birgit Cullberg, la Suédoise, et Agnès de Mille, l’Américaine ; féminin par ses héroïnes – Lizzie Borden et Mlle Julie ; féminin dans son aspect politique, de ce que ces pièces disent de la difficulté d’acquérir sa liberté quand on est femme. Du 21 février au 13 mars, deux ballets des années 50, Fall River Legend, et Mlle Julie, sont à voir au Palais Garnier. Retour sur la première de cette série, le 21 février.

Fall River Legend, d’Agnès de Mille, avec Alice Renavand, Vincent Chaillet, Stéphanie Romberg, Laurence Laffon, Christophe Duquenne, Léonore Baulac et Sébastien Bertaud.

Alice Renavand Agathe Poupeney

Cette pièce est inspirée d’un fait réel, l’affaire judiciaire de Lizzie Borden. La jeune femme a été accusée du double meurtre à la hache de ses parents. La pièce d’Agnès de Mille nous plonge donc dans cet univers immédiatement. Les premières notes de la partition sont stridentes et le drame se dessine déjà. La pièce s’ouvre sur procès où le porte parole rend compte des faits. Sébastien Bertaud donne de la voix pour énoncer très distinctement « Les jurés se sont rendus…. ». On a tout de suite l’impression d’être dans un film américain. Alice Renavand joue le rôle de l’Accusée. A son procès, elle est soutenue par le Pasteur incarné par Vincent Chaillet. Le personnage va être replongé dans son enfance. L’Accusée jeune, jouée par Léonore Baulac, est une petite brune aux jupons blancs. On reconnait à peine la jeune femme sous ces traits de fillette, mais la pétillance de sa danse transparait. L’Accusée revit la scène avec son double enfant. C’est bien construit. Renavand campe une jeune femme déjà assez en colère ou dans une certaine inquiétude. Elle est à ce moment comme une voix off qui vient apporter l’émotion d’une scène qui serait filmée de façon très objective. La rage contre cette belle-mère, qui remplace une mère douce et aimante – Agnès de Mille continue d’apporter au mythe de la marâtre – se lit aisément dans la chorégraphie et dans le langage de l’Accusée : les chevilles tournent, la main va au ventre ou au plexus, les contractions du ventre se répètent.

La danse est très lisible, avec des expressions du visage très marquées. La trame narrative est ainsi très bien construite. Le rire à gorge déployée de l’Accusée quand ces parents prennent peur la voyant la hache à la main, les regards marqués, les gestes très dessinés, à la manière d’un film muet, tout cela contribue à une narration formidable. On suit l’intrigue avec un certain suspense. Alice Renavand porte le personnage avec une grande force, sans jamais perdre ses belles qualités techniques, comme on peut le voir dans le duo avec sa mère, après le meurtre. On la fait passer pour folle. Elle est une femme en dehors du monde, dont l’enfance s’est terminée trop brutalement. Elle ne connaît rien du monde, on l’empêche de vivre l’amour, elle est une femme recluse qui veut gagner un peu de liberté. De cette envie de liberté naît une rage, un désir fou, où Tathanos prend le dessus sur Eros. La mort comme une libération à une existence qui n’en a pas ? Une façon de rejoindre une mère tant aimée ? Ce sentiment de colère qui naît chez le personnage de l’Accusée, prend forme dans une danse circulaire où le groupe de villageois tournent et dansent autour d’une femme qui ne fait pas partie de cette ronde.

La chorégraphie m’a fait penser aux comédies musicales américaines – West Side Story évidemment. L’église américaine avec son pasteur – dansé par Vincent Chaillet au port de tête noble –  et les danses de groupe, notamment la prière, m’ont plongé dans une Amérique que l’on voit dans les vieux films. Rien d’étonnant quand on sait qu’Agnès de Mille était d’une famille de cinéastes. Les toiles peintes montrent des ciels de couleur qui reflètent l’âme du personnage principal. On pense aux grand studios d’Hollywood, où tout est complètement articifiel, y compris les ciels. La musique et son côté jazzy m’ont fait pensé à Berstein, à Gershwin, à ces musiques qui savent nous raconter quelque chose avec une mélodie rebondissante. Les pas s’y calent en contretemps, les hanches se décalent parfois, avec une belle subtilité.

On sort de la pièce comme à la fin de film à suspense. Agnès de Mille a fait le choix de faire condamner son héroïne à la mort, alors que Lizzie Borden avait été acquitté. Vidée, Alice Renavand a porté ce personnage avec brio pendant 50 minutes et la robe blanche tachée de sang, elle livre au public une dernière émotion, la sienne cette fois.

saluts alice Renavand Fall River Legend IKAUBERT

Mlle Julie, de Birgit Cullberg, avec Aurélie Dupont, Nicolas Le Riche, Amélie Lamoureux, Alessio Carbone, Michaël Denard, Aurélien Houette, Takeru Coste, Charlotte Ranson, Andrey Klemm, Jean-Christophe Guerri, Richard Wilk.

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 » Un valet est un valet
– Et une putain est une putain »

Strindberg, Mlle Julie, 1888.

Mlle Julie, est à l’origine, une pièce de théâtre naturaliste de l’auteur suédois August Strindberg. Elle raconte comment, un soir de la Saint Jean, Mlle Julie, jeune aristocrate va séduire son valet Jean, jusqu’à passer la nuit avec lui, au dépend de Krisitin, cuisinière et fiancée de Jean. Julie regrettera son geste et se suicidera à l’aube. L’adaptation de Birgit Cullberg ajoute quelques personnages et rompt avec l’unité de lieu. Tout d’abord, Julie apparaît revenant de la chasse, devant son père et un jeune prétendant, interprété par Alessio Carbone. Des villageois deviennent des personnages à part entière, dont la personnalité définit la danse. Quatre scènes au lieu d’un lieu, Cullberg montre ensuite ce qui est caché, à savoir la fête de la Saint Jean. Elle nous fait enfin partager les questionnements coupables de Mlle Julie dans une danse au milieu de ses aïeux qui la mènent au suicide.

En regardant la pièce, on pense à de nombreux autres ballets. Ceux de Mats Ek évidemment, notamment Giselle, avec le langage chorégraphique des paysans, et la danse de Kristin quand elle est seule dans la cuisine. La maison de Bernarda est aussi en résonance dans la pièce, avec les trois vieilles du village à la fête de la Saint Jean. Un autre chorégraphe contemporain de l’époque de ce ballet apparaît comme un fantôme, c’est Roland Petit. Carmen n’est pas loin, on le voit dans les costumes, dans les scènes de séduction, où les hanches s’ouvrent érotiquement.

Ce ballet est bien construit. La trame narrative est, là aussi, très lisible. Les personnages sont aussi complexes que dans la pièce. Mlle Julie apparaît très hautaine, froide, autoritaire. Aurélie Dupont campe à merveille cette noblesse, dans une tenue de cavalière très seyante. Dominatrice, de par son rang et sa personnalité, elle ne ménage pas son fiancé, qui la fuit, ne supportant pas le combat homme-femme qu’elle lui impose. Mlle Julie c’est une femme seule. Cette solitude va la pousser à aller danser avec ses serviteurs à la fête de la Saint Jean. Son serviteur, Jean, incarné par le sublime Nicolas Le Riche, est un serviteur obéissant. Jambes serrées, tête baissée, les bras le long du corps, respectant son rang de domestique. Il est attaché à ce dernier, aux principes de classe. On le voit bien dans la scène où il se moque de Julie devant Kristin. Il se joue de cette femme qui est sortie de son rang. Aurélie Dupont montre une femme fragile à la carapace faussement solide. Elle passe par de nombreux états.

« C’est toujours avec de belles paroles qu’on attrape les femmes »

La scène centrale du ballet est à mon sens celle de la séduction après la fête de la Saint Jean. Le désir est la domination de l’autre sont les deux éléments centraux qui vont faire basculer Julie dans une situation irréversible. Elle se laisse séduire par le beau jeune homme, tout en essayant de conserver son rang. D’une Julie froide, Aurélie Dupont montre un tout autre visage dans cette scène. Elle est outrageusement sensuelle, provocante, presque vulgaire. Jean en profite, tant qu’il peut, revenant parfois à la raison. Nicolas Le Riche est brillant, tellement, que parfois, il en écrase le jeu de sa partenaire. Sauts vertigineux, jeu impeccable, arabesques majestueuses, sa danse est superbe. On n’a d’yeux que pour lui. La domination de l’homme prend le dessus, et Julie est prise au piège. Le jeu de maître/valet est allé trop loin, il ne reste que la mort comme solution.

« Tu me reproches d’être grossier ? Jamais je n’ai vu une des nôtres se conduire comme tu t’es conduite cette nuit. « 

 Le ballet m’a beaucoup plu, d’autant que c’est une pièce que j’apprécie et dont j’ai vu de nombreuses versions. J’ai trouvé cette version chorégraphiée très juste, très proche de l’écriture de Strindberg. La tension dramatique monte bien, les danseurs sont merveilleux. Une belle soirée.

Saluts Mlle Julie Aurélie Dupont Nicolas Le Riche  © IKAubert

Nouvelles de 2013 n°6

Je n’ai pas fait grand chose cette semaine, je devais aller au Théâtre du Rond-Point voir Le théâtre sans animaux, de Jean-Michel Ribes et je me suis rendue compte que la date était déjà passée… Selon mon ami Youssef Bouchikhi, je n’ai pas manqué grand chose, et le spectacle que nous avons vu ensemble jeudi était bien plus réjouissant. La belle et la bête de Pilon Lemieux fut un spectacle dont les images me restent encore en tête. D’une belle qualité visuelle, le texte et la mise en scène ne sont pas en reste, on passe vraiment un très bon moment. Relire ma chronique, clic.

Cette semaine, quelques sorties sympathiques en perspective, du côté de Bastille et surtout l’effervescence de l’annonce de la nouvelle saison. De mon côté, j’irai aussi faire un tour du côté du théâtre du Rond-Point ( sans me tromper de date cette fois-ci !) pour voir Tout est normal mon cœur scintille, repris cette année, que je vous conseille vivement, si vous l’avez manqué l’année dernière.

  • Les sorties de la semaine

Les danseurs chorégraphes s’installent à l’amphithéâtre Bastille pour 3 jours. Le principe ? Des danseurs de l’Opéra qui font une pause dans leur rôle d’interprète pour pour s’emparer d’une scène et d’y mettre leur langage et leurs idées. 25€ pour la place pour découvrir une autre facette de ces artistes. Voilà le programme :

Premier cauchemar (Prologue extrait du Rêveur) Chorégraphe et livret : Samuel Murez
Deux à deux Chorégraphie et costumes : Maxime Thomas
En attendant l’année dernière Chorégraphie : Grégory Gaillard
Kaléidoscope Chorégraphie : Allister Madin
Smoke Alarm Chorégraphie : Julien Meyzindi
Songes du douanier Chorégraphie : Alexandre Carniato avec Morgane Dragon
Stratégie de l’hippocampe Chorégraphie : Simon Valastro

Pour réserver, c’est par ici.

Amphithéâtre Bastille

A Chaillot, vous pouvez découvrir en famille le conte Babayaga inspiré de l’album de jeunesse de Rebecca Dautremer et dansé par la compagnie TPO. Le spectacle est interactif, chaque spectateur reçoit au début un petit boitier, qui va permettre de faire évoluer le personnage de Michette. La danse se mêlent aux images de l’illustratrice, dont je suis assez fan. Après La belle et la bête, la semaine dernière on reste dans cette continuité de spectacles où l’image prend une nouvelle place, devient un élément chorégraphique à part entière.
Plus d’infos et réservations, clic

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A voir aussi, si vous avez des places parce que c’est bien complet, Ce que j’appelle oubli, d’Angelin Preljocaj, jusqu’au 5 mars au Théâtre de la Ville, puis jusqu’au 10 mars au Centquatre. Plus d’informations, clic.

  • L’évènement de la semaine : la nouvelle saison de l’Opéra de Paris.

Elle sera dévoilée demain, les abonnements seront ouverts mercredi. Saison riche par ses émotions, puisque 3 étoiles quitteront la compagnie et pas des moindres. Agnès Letestu partira en début de saison avec La Dame aux camélias, puis ce sera le tour d’Isabelle Ciaravola dans Onéguine et enfin Nicolas Le Riche qui fera ses adieux lors d’une soirée spéciale, en juillet.

Brigitte Lefèvre fera elle aussi en quelque sorte ses adieux, puisque c’est la dernière saison où elle sera présente toute l’année. A son image, entre tradition et modernité, elle a programmé des grands noms de la danse contemporaine que l’on pourra voir dans 3 soirée mixtes, et d’autre part, des grands classiques, comme la Belle au bois dormant qui sera donnée à Bastille à Noël.Parmi ces chorégraphes, on retrouvera Trisha Brown, Jiri Kylian, Saburo Teshigarawa, Agnès de Mille, Birgit Cullberg, Preljocaj.

Comme promis par Lissner, le ballet va commencer des tournées en France. Dès janvier, un ballet tournera en région parisienne, pour permettre aux Franciliens de découvrir de façon peut être plus accessible cette compagnie.

Plafond de l'Opéra Garnier

Une seule compagnie invitée, mais de très grande qualité, puisque le Bolchoï viendra danser en janvier à Paris avec un ballet de Ratmansky.

Je ne vous en dis pas plus, vous découvrirez tout demain, chacun ira de son petit commentaire ! Personnellement, la saison 2013-2014 me plaît plutôt, hormis le programme de Noël.

  • En vrac

A lire et à voir, Noëlla Pontois, invitée de Telematin, revient sur son parcours, à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée à Elephant Paname, clic

A lire, un petit article sur ces garçons amateurs qui font de la danse classique, clic

Danses avec la plume a mis à jour son site, est passé sous WordPress, avec un joli thème. Il serait temps pour moi que j’en fasse de même, il est vrai qu’une fois passée sous WordPress j’ai eu la flemme de fouiller pour un thème. Bravo Amélie pour ce joli travail !

Camille de Bellefon quitte Paris pour Vienne. La jolie danseuse a été embauchée chez Manuel Legris.

Caroline Carlson créera un spectacle pour le ballet de Bordeaux en 2014 et devrait travailler avec Chaillot.

Plus que trois jours pour soutenir un joli projet de film documentaire, Comme ils respirent. Claire Orantin a suivi 5 danseurs pour faire un film différent. L’objectif de 7000€ est presque atteint, mais n’hésitons pas à lui donner un coup de pouce. Pour plus d’infos et contribuer au projet, clic.

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  • La vidéo de la semaine