Si les pièces d’Ibsen racontent toutes les interrogations intérieures d’un personnage torturé, Solness est sans doute celle, qui par sa construction rigoureuse et son langage, est la plus pertinente.
Trois actes, trois temps, trois lieux, trois femmes pour découvrir le raisonnement interne de ce constructeur qui va l’amener au suicide.
Au premier acte, on découvre l’intérieur du cabinet de cet homme, présenté d’emblée comme arrogant, sévère et méprisant. Le vieil architecte qui partage son cabinet, mourant, magnifié par le jeu de Michel Robin, aimerait qu’il cède à son fils, un projet, pour que celui-ci puisse avoir un avenir. Solness refuse, et laisse apparaître le côté le plus cynique sans doute du personnage. Il se sert de sa secrétaire Kaja, niaise et naïve, pour garder tout ce qu’il possède, sans céder une miette de son royaume.
C’est au deuxième acte , à l’intérieur de sa maison, de son foyer, que le noeud de la pièce se forme. La belle et jeune Hilde apparaît. C’est une jeune femme qu’il a rencontré dans la passé, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Il bâtissait des cathédrales, des tours à échelle surhumaine. C’est en haut d’une de ces tours qu’il a fait une promesse à la petit Hilde. Il lui construirait un royaume. Solness parait bien vieux à présent devant cette bulle de jeunesse qui a jailli sous ses yeux. Pétillante et bondissante, elle vit à mille à l’heure, croquant la vie avec un mordant particulier. Elle est incarnée avec brio par Adeline d’Hermy de la Comédie Française. Face à elle, Wladimir Yordanoff se révèle absolument brillant dans chaque mot qui sort de sa bouche, chaque souffle et chaque geste. Il campe un Solness plus sombre, plus complexe, qui se révèle plus touchant, par son histoire personnelle. Les échanges entre Hilde et Solness sur les constructions du passé, sur le parcours de cet homme, le drame de sa vie (la perte de ses enfants dans un incendie). Son parcours de vie est passionnant et son analyse par son personnage est sans aucun doute le moment le plus prenant de la pièce. On est suspendu aux lèvres de Solness qui se révèle à mesure que la pièce avance, tandis qu’Hilde bondit, rit, contrastant avec le sombre esprit de ce vieil homme.
La mise en scène d’Alain Françon est sobre et élégante. Les lieux paraissent suspendus, sans nom, et le temps se serait comme arrêté. Au troisième acte, la femme de Solness, dans un dialogue avec Hilde, permet de mettre en lumière les dernières zones d’ombre du personnage de Solness. L’action s’accélère, le décalage entre Solness et les autres se creusent, tellement qu’on arrive au suicide évident final.
La pièce est admirablement jouée et c’est presque religieusement que l’on écoute ce texte, délicieusement accessible tout en étant truffé de subtilités. Les personnages y sont des figures. Parmi elles, c’est Hilde qui semble la plus irréelle. Souvenir ou fantasme, elle trouble Solness autant qu’elle le fascine et l’attire.
On regrettera le manque d’entracte qui permettrait peut être un peu plus de digérer le texte. La pièce reste rudement bien menée. Du grand Ibsen.
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