Adrien Couvez

Play ?

Play, jouer en français dans le texte. Jouer à quoi ? Jouer à la balle, jouer au spationaute, jouer sur scène, jouer aux animaux, jouer au chef d’orchestre, jouer à être amoureux, jouer à se déguiser, jouer sa vie, jouer à être un adulte, jouer, juste pour jouer. Le jeu de séduction, le jeu de l’oie, le jeu de la vie. Qui joue ? Ça veut dire quoi jouer ? Peut-on jouer quand on est un adulte ? Et si le jeu n’était qu’un divertissement, donc un leurre ? Il ne faudrait donc pas arrêter de jouer ?

Beaucoup de questions, peu de réponses. Ou toutes faites. Alexander Ekman m’a déçu plus que plu. Ce Play m’a laissée assez indifférente, avec beaucoup de frustrations. Le premier sentiment, vient de la « non-surprise » de la création. De ne pas être à la première était sans doute une erreur, voilà donc quinze jours que mon instagram est rempli d’images de Play. Il faut dire que la pièce est fortement « instagramesque ». Plus qu’un chorégraphe Ekman est un créateur d’images. C’est joli, ça fonctionne, ça fait de belles photos. Mais le plateau très (trop ?) grand est finalement peu exploité, et quand les danseurs vont se nicher dans les coins profond du côté cour, on ne voit plus rien. A croire que les chorégraphes et metteurs en scène en oublient la salle en fer à cheval (est-ce que ce n’est pas une contrainte intéressante ?). Les images d’Ekman sont très belles : on retiendra particulièrement Aurélien Houette en immense robe blanche, le joli duo Vincent Chaillet/Sylvia Saint-Martin, le défilé de rennes, et la pluie de balles vertes formant peu à peu une piscine à balles dans la fosse d’orchestre. Les danseurs commencent ce diaporama avec une succession de jeux, habillés comme de jeunes bambins en culottes courtes. Regarder des gens jouer, cela me laisse assez indifférente. Je ne ris pas à voir les danseurs plonger dans la piscine (à vous dire vrai cela me provoque la même frustration que lorsque que je vais à Ikéa et que je passe dans l’espace enfant…). Ce jeu, enfantin, c’est ce qu’Ekman appelle le mode « on ». Au milieu de cette foule de joueurs, il y a the « off lady », incarnée par Caroline Osmont. Tailleur gris, chignon tiré, petites lunettes et escarpins. Elle est la maitresse, l’adulte, celle qui range, qui gronde, celle qui ne joue pas.

Passé ce mode « on » on passe en « off ». Les danseurs sont donc tous en tailleur gris, avec cheveux grisonnants et lunettes. Ils miment des gestes de travail, qu’ils répètent inlassablement. Heureusement, on s’accroche à la musique, qui est vraiment merveilleuse tout au long de la pièce. Puis Ekman nous livre un discours surtitré le long de la fosse (sérieusement ? et la visibilité ?) dont on se serait bien passé. Il nous explique à quel point nous courrons après un succès hypothétique et que lorsque nous y parvenons, nous ne savons pas en jouir. Il continue avec un discours sur la nécessité qui serait une illusion, y compris dans la danse et la musique…Là j’ai atteint le summum de l’agacement (je vous passe mes pensées intérieures qui ressemblaient à « mec sérieux va lire Spinoza… ou Meillassoux, peut être que tu trouveras une définition de la nécessité qui a du sens et par la même occasion celle de la contingence… Je m’excuse auprès de Félix qui a subi toute la démonstration avec beaucoup de patience et de sourire. J’ai des amis formidables !). Avait-on vraiment besoin d’un discours ?! On n’est pas non plus à la FIAC on n’a pas besoin du déroulé du processus de création. Dans la tension qui naissait du haut de ma colonne vertébrale jusqu’au coccyx, l’apaisement est arrivé avec la séance qui me semble vraiment être le beau moment du ballet. La danse sur les cubes m’a rappelé le très beau Cacti. Redoutablement efficace, cette contrainte du cube pousse la créativité d’Ekman et on se réveille enfin un peu. Le mode off se termine avec un public un peu endormi.

Après les saluts, le dernier chant ouvre la place pour transformer Garnier en espace de jeu. Enfin Garnier, c’est vite dit. Le parterre en somme. De gros ballons sont lancés, les danseurs lancent des balles jaunes dans le public, les danseurs jouent au ruban sur scène… Vous vouliez jouer ? On vous donne deux minutes de divertissement. On vous fait jouer. Enfin on vous lance la baballe. En rentrant de Play on a envie d’ouvrir Pascal pour se rappeler ce qu’est le divertissement.

Convergences Le Boléro Cherkaoui/Jalet

En pleine semaine sur le Tricentenaire, pause contemporaine à l’amphi Bastille pour découvrir les premiers mouvements de ce nouveau Boléro.

Brigitte Lefèvre avait la volonté de proposer un nouveau Boléro. Quand on pense Boléro à l’Opéra, on visualise celui de Maurice Béjart, avec sur la table un sensuel Nicolas Le Riche. On peut aussi penser à celui d’Ida Rubinstein. L’Opéra avait donc envie d’une nouvelle chorégraphie. Sisi Larbi Cherkaoui a donc été convié, avec son acolyte Damien Jalet. Les deux chorégraphes ont eu l’envie de travailler avec Marina Abramovic. Le trio formée il ne restait plus qu’à créer.

Il a fallu choisir les danseurs. Ils seront onze sur scène. Parmi eux, ceux que l’on va voir répéter aujourd’hui, Alice Renavand, Adrien Couvez, Alexandre Gasse et Marc Moreau. On retrouvera aussi Marie-Agnès Gillot, Vincent Chaillet, Aurélie Dupont.

Damien Jalet s’avance et le moleskine dans les mains, commence à nous raconter cette aventure. C’est une danse de groupe, contrairement à celui de Béjart. Chacun a son rite par rapport à cette musique. Et là, il faut que chaque danseur prenne part au rituel. La musique est une œuvre imposante, c’est une montagne. Le trio a commencé par écouter l’œuvre de Ravel, de nombreuses fois. La problématique était « comment traduire cette musique physiquement ? ». La première image qui leur est apparue fut la spiral. Spirale ascendante, spirale descendante, car cette musique peut être pour certains apocalyptique. Il fallait donc trouver une gestuelle, qui traduirait cette spirale et en même temps quelque chose de constant. Au centre, rien, du vide, mais ce vide est magnétique. Les danseurs tournent autour d’un axe, mais cet axe se déplace, ainsi on est pas tout le temps dans une verticalité.

L’autre question qui s’est posée est celle de la transe. Vous avez plusieurs façons d’y parvenir, sauter sur place par exemple, mais là Cherkaoui et Jalet sont restés sur l’idée de la spirale, donc tourner. Comme la musique, qui peut amener à cet état, tourner amènera à une transe.

L’exposé de Jalet s’interrompt pour laisser place à la danse. On découvre une première phrase chorégraphique dite « de base ». C’est très beau, très fluide, on voit assez clairement la pâte de Cherkaoui avec cette souplesse dans les membres sans cesse exigée. On reste le regard figé sur James O’Hara, danseur de Cherkaoui, absolument sublime. Les corps sont attirés tantôt par le sol, tantôt par le ciel, tournant autour de cet axe imaginaire à la fois dans leur corps et au centre de la scène.

Boléro Sidi Larbi Charkaoui Damien Jalet

Derrière cette danse, Jalet et Cherkaoui ont eu la volonté d’y mettre une forme de mythologie. au début, les danseurs sont comme des dieux immatériels, chacun dans son univers (ils ne se regardent pas d’ailleurs au début), puis ces dieux se matérialisent dans l’extase provoquée par la danse. Au début, c’est calme d’ailleurs, la danse ressemble à des volutes de fumée.

Les danseurs doivent essayer d’être dans une forme d’opposition dans le corps, pour créer une force d’amortissement.

A partir de la phrase principale, les chorégraphes ont crée des phrases complémentaires appelées « orbite ». Les phrases vont résonner entre elles, et vont s’absorber, comme une émulsion. Ainsi la 3ème phrase, on trouve un premier contact physique, dos à dos. Un peu comme le discours d’Aristophane, dans Le Banquet de Platon, les danseurs sont collés dos à dos, c’est le début de la fusion entre deux personnes.

Jalet commence à corriger les danseurs, même si visiblement ce n’est pas son propos aujourd’hui. Il veut nous donner les clefs pour profiter pleinement du spectacle. Il leur dit d’essayer d’utiliser le minimum d’énergie possible. Il faut jouer sur une forme de résistance, notamment quand on danse avec le corps de l’autre. Il faut penser au dessin de la spirale dans l’espace, il faut que le corps se prolonge.

Si il n’y a pas de solistes dans le ballet, il y a tout de même des formes d’isolations. Un peu comme dans le Sacre de Pina, il y a toujours une personne qui ne fait pas partie du groupe. Un couple qui se scinde et hop un solo démarre. Là encore, cela crée des oppositions par rapport aux phrases déjà existantes. Ce qui intéresse les chorégraphes, ce n’est pas la forme du vase, mais comment le liquide se déplace dans le vase. On voit bien avec les extraits montrés aujourd’hui, que le geste est exploité dans toutes ses configurations, dans toutes ses orientations, décliné et transformé pour former un tout harmonieux, qui va nous faire entrer en transe.

Boléro de Damien Jalet & Sidi Larbi Cherkaoui Aurélie Dupont en répétition

Plus d’infos sur le spectacle et réservations, clic.
Marina Abramovic tiendra une conférence publique (en anglais) mercredi 24 à 20h. Gratuit, sur réservation, clic

Kaguyahime, première avec Alice Renavand

Le ballet de Kylian inspiré du conte Japonais de la princesse Kaguyahimé m’avait fait une forte impression quand il avait été présenté à Bastille il y a trois ans. A Garnier, le ballet a pris une âme plus particulière, car il se déploie avec beaucoup plus de beauté dans ce lieu. Après avoir vu la séance de travail, retour sur la première du spectacle.

Kaguyahimé photographie d'Agathe Poupeney

Ce qui fut génial à Garnier, c’est le son des tambours qui résonnait dans toute la salle. Dès le début, les bâtons de pluie, les fracas métalliques, on se plonge dans la dualité du monde terrestre et du monde lunaire de la princesse. C’est le ballet des balançoires, qui laisse entrevoir au fond sur une plate-forme un ombre de lumière. Alice Renavand est d’emblée lumineuse. Le halo blanc s’agrandit, les cinq hommes traversent la scène au ralenti. Le ballet joue avec les contrastes de suspension et d’accélération, entre le monde des hommes et celui de la Lune, le monde occidental et le monde japonais, entre la danse et la musique. La musique siffle pour annoncer l’arrivée sur terre. Les danseurs sont tous sur-investis par cette chorégraphie qui semble les transporter. Vincent Chaillet est puissant et généreux dans sa danse. Il montre de nouveaux de belles qualités avec des arabesques et un dos solide qui emmène le reste du corps. Adrien Couvez est impressionnant par sa façon d’entrer dans le sol et dans l’air. Il déploie une énergie incroyable. Yvon Demol et Alessio Carbone sont eux aussi très engagés dans leurs solos (j’aurai bien aimé revoir Jérémie Bélingard vu en séance de travail qui était lui aussi très beau dans ce répertoire), Aurélien Houette maîtrise à la perfection le sujet, c’est un reptile dansant, il rampe dans l’air, et se saisit de Kaguyahimé impassible.

Les marches sont l’autre force de ce ballet. Elles sont très marquées dans le sol. Chez Kylian, ce sont souvent les pas les plus simples qui sont déclinés à l’infini avec une intelligence dans la construction du ballet. Et si Kaguyahimé n’est pas son ballet le plus déroutant en terme de chorégraphie, il est remarquablement construit.

Allister Madin dans Kaguyahimé de Jiri Kylian photographie de Julien Benhamou

Les passages avec les villageoises accélèrent le rythme. Laurène Lévy est radieuse, c’est un vrai plaisir de voir cette ballerine s’épanouir dans ces langages contemporains (dans Forsythe, elle avait déjà un charisme incroyable). L’affrontement entre villageois et citadins vous prend au vif, vous colle au fond du siège. C’est frénétique. L’espace semble immense, on a du mal à tout voir, cela bouge, les musiciens s’affrontent eux aussi, blancs contre noirs, tout cela pète comme de l’orage, quand le rideau noir s’abaisse, comme si Kaguyahimé en avait assez vu de ce monde terrestre. Solo lent, Alice Renavand est étonnante. Elle oscille entre sensualité et froideur lunaire. Chaque pas est exécuté avec beaucoup de matière. Elle perce l’espace avec son corps, comme la lumière dans l’obscurité. Les cambrures montrent comme une souffrance de cet être lumineux face à la noirceur de la guerre. Tout s’éteint en elle. Seul le Kodo résonne, comme une petite voix intérieure. L’ondulation du rideau noir est le souffle de la princesse qui va disparaître à la rencontre du prince Mikado.

Ébloui par sa beauté, il l’invite à venir à son palais et tente de la capturer. Malgré ses plaintes, marquées par de grands étirements qui se contractent ensuite, Il tente de la retenir. L’éblouissement de la pleine Lune qui arrive, réalisée avec les miroirs, est fabuleuse. Les scénographies de Kylian sont soignées, prennent sens à chaque instant, et il n’y a pas de décor « accessoire » comme on peut le voir chez tant d’autres chorégraphes.
Mikado ne voit donc pas Kaguyahimé partir, qui remonte sur sa Lune, avec sa lenteur.

Vincent Chaillet dans Kaguyahimé de Jiri Kylian photo de Julien Benhamou

Très belle soirée, mon impression première s’est vérifiée, un ballet c’est toujours mieux à Garnier, c’est comme un bijou dans l’écrin. Avec cette musique puissante, on a voyagé à travers ce conte d’orient. Alice Renavand y est divine.
Petit plus de ma soirée, j’avais emmené un ami d’enfance qui n’avait jamais mis les pieds à Garnier. C’est toujours fascinant de voir l’émerveillement dans les yeux de quelqu’un. Des fois on aimerait retrouver cette première émotion.

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  • Distribution du 1er février 2013
Kaguyahime Alice Renavand
Mikado Hervé Moreau
Muriel Zusperreguy, Amandine Albisson, Laurène Lévy, Charlotte Ranson, Caroline Robert
Yvon Demol, Vincent Chaillet, Alessio Carbone, Adrien Couvez, Aurélien Houette
Maki Ishii Musique
Jirí Kylián Chorégraphie
Michael Simon Décors et lumières
Ferial Simon, Joke Visser Costumes

Convergences Kaguyahimé Jiri Kylian

Si Paris prend des allures lunaires, c’est du côté de Bastille que l’on pouvait voir le début de la descente sur Terre de la princesse de la Lune, Kaguyahimé. Une heure de répétition avec Alice Renavand, Caroline Bance et Adrien Couvez, coachés par Elke Schepers et Patrick Delcroix.

On commence par le solo d’Adrien Couvez. Au début du ballet, les hommes du village tombent amoureux de Kaguyahimé et tente de la séduire par des danses. Kaguyahime est côté jardin, les solos partent de cour et sont construits de profil. Les corrections vont vite, Patrick Delcroix demande à Adrien Couvez  de rester plus longtemps en arabesque ou encore de donner un peu plus de hanches dans les déplacements latéraux. Il affirme au bout de cinq minutes « très bien, moi je suis content ».

Affiche Kaguyahime par Anne Deniau

On passe ensuite au dernier solo de Kaguyahimé. Elle a décidé de quitter la Terre et de retourner sur la Lune. Ce solo, ce sont ses adieux. Elle va du devant de la scène au fond, comme pour dire au revoir à la Terre. Elle bouge de façon très lente et est tout le temps en équilibre sur une jambe. C’est là que réside la difficulté de ce passage. Alice Renavand danse avec beaucoup d’implication. Son visage se transforme, devient grave. Dès la fin, Elke déclare « J’ai un problème, parce qu’Alice est déjà très bonne et très au point ! « . Elle la corrige sur quelques points, notamment des conseils pour être plus à l’aise « appuie toi vraiment sur cette hanche, tu peux exagérer cela, tu seras plus stable ». A propos d’un grand battement attitude, elle lui dit qu’il faut « emmener tout le corps, pas seulement la hanche ». Elle la corrige sur ses mains « il faut que tu aies plus d’énergie dans les mains, quand tu fais la lune va jusqu’au bout, avant de refermer tes poings ». Quand elle amrche de dos pour partir vers la Lune, elle lui conseille de ne pas aller trop vite, de contrôler l’arrivée des pieds sur le sol.

On continue avec le duo entre Caroline Bance et Adrien Couvez, qui dansent dans la confrontation des villageois et des citadins. Les costumes sont noirs et blancs, les musiques occidentales et japonaises s’affrontent. C’est très énergique, c’est un passage du ballet que j’apprécie beaucoup. Là il faut corriger certains portés, trouver ses marques. « Adrien aide là, il faut que tu la tires plus vers le haut ». Caroline Bance, recommence essaie, toujours avec un grand sourire, et une belle énergie. On sent qu’elle s’éclate dans ce langage chorégraphique. Ils doivent faire attention à la musique, qui est aussi rapide que la danse et ne pas courir derrière.

Il reste du temps, alors Elke décide de finir sur le premier solo de Kaguyahimé. Alice Renavand danse sur une plate-forme à 2m du sol. Tout est très lent, avec encore beaucoup d’équilibres, très lunaire en somme. Là encore, Alice Renavand connaît déjà bien son rôle et les corrections sont rapides. Les compliments pleuvent « quand tu danses le début, c’est magnifique ! ». Les applaudissements aussi.

Fin de répétition Kaguyahime Amphi Bastille 19/01/2013

Répétition intéressante, même si les interprètes étaient déjà très au point, ce qui est moins passionnant que lorsque qu’un rôle s’apprivoise, qu’un ballet se construit. C’est toujours une mise en bouche alléchante, avant d’aller revoir le ballet.

Relire ma chronique sur le ballet, vu en 2010, clic
Kaguyahimé de Jiri Kylian, du 1er au 17 février. Plus d’infos et réservations, clic.

Rain, rain, rain !!

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© JMC

Lundi, après avoir été assistée brièvement à la présentation de la saison 2011-2012 au Théâtre de la Ville, dont je vous ferai un compte rendu dans la semaine, j’ai filé à l’Opéra Garnier pour assister à la pré-générale de Rain. Tout comme celle de  Roméo et Juliette, l’entrée des artistes est envahie par des groupes de scolaires.

J’attendais beaucoup de ce ballet, les danseurs avaient tous l’air très excités à l’idée de danser cette œuvre et d’y prendre beaucoup de plaisir. C’est la première grande œuvre que la chorégraphe belge donne à une autre compagnie que la sienne. Et quelle œuvre ! Moi qui adore la danse contemporaine, j’ai été servie. C’est exactement ce qui me donne envie de danser et qui me plaît.

La scène est entourée par un cercle de cordes. Quelques chaises transparentes au fond, et un sol sur lequel son tracés des lignes continues de couleurs ou des pointillés. Ce sol sert aux danseurs à évoluer dans l’espace, car les constructions d’Anne Teresa de Keersmaeker sont complexes. 7 filles, trois garçons. Les costumes sont très beaux et me plaisent beaucoup. Des dégradés du chair au rose de la jupe de Fumyo sont comme la palette de couleurs qu’il peut y avoir dans le ciel un jour de pluie. La pluie d’ATDK n’est pas triste, c’est plutôt une ode à la joie, un parcours ensoleillée sous de la pluie chaude. Les cordes qui encerclent l’espace sont plutôt rassurantes. J’ai aussi envie qu’elles s’animent, que les danseurs passent leurs bras ou leurs jambes dedans. Il faudra attendre un peu pour que l’orage se déclenche.

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© JMC

La chorégraphie est douce pour le regard. Les formes sont fluides, il y a beaucoup de balancés dans les bras, dans les jambes ou le corps tout entier. Les danseurs prennent leurs marques les uns par rapport aux autres. Ils courent, s’arrêtent. D’un coup, une force, comme un fil au milieu des omoplates vient les chercher et les fait reculer. Dans les formes de leurs bras, on imagine souvent qu’ils portent des objets imaginaires. Un joli ballon, une bulle de savon, un triangle. Tout un imaginaire se construit dans ce début de la pièce. Il y a des tensions avec le sol, il se passe quelque chose que l’on repousse pour se donner un nouveau élan ou bien qu’on enfonce pour se figer dans une attitude.

La lumière se modifie au fil du ballet, tout comme les costumes de certains personnages. D’un rose pâle on passe au fushia dans l’air, comme sur le sol. Il y a une fluidité dans les matières, dans la lumière. Tous les changements sont doux, comme une mousse ou une pluie d’été. Les xylophones, métallo-phones, piano et autres percussions forment un nuancier de sons et de gouttes de pluie. C’est un vrai spectacle que de regarder ces musiciens jouer. C’est une oeuvre complète, car le choix de cette musique est très pertinent. La musique comme la danse envahit tout les sens, la vue et l’ouïe ne peuvent se détourner de ce qui se passe sur scène. Il y a d’ailleurs aussi des changements de lumières pour la fosse d’orchestre pour que les musiciens soient parfaitement
intégrés à cette envolée. Ils sont debout, se déplacent, c’est une partition très vivante. La musique, les courses, les mouvements qui se décalquent et se transforment à l’infini, les tissus qui semblent flotter sur les corps, tout cet ensemble harmonieux forme une image démultipliée de la pluie.

Beaucoup de rebonds se mettent en place. Au début de la pièce, les pieds semblaient se plonger dans se sol, et maintenant, cela rebondit plus. Les résonances se font plus fréquentes. Le rythme de la chorégraphie s’accélère. Et toujours des courses circulaires qui viennent comme briser un cycle d’espaces géométriques plus complexes. Les échos se font dans le corps, on voit souvent des parallèles entre les bras et les jambes, mais aussi entre les danseurs entre eux. Les danseurs sont d’ailleurs très investis dans cette pièce. L’effort n’est pas visible. Ici, pas d’histoire, et pourtant les personnages ont des prénoms. Ils n’ont pas que des prénoms. Des personnalités apparaissent clairement. Ce que je ne sais pas c’est si ils viennent avec leur propre personnalité ou si un jeu leur est imposé. Ce qui est sûr, c’est que si c’est la deuxième option, Brigitte Lefèvre a fait un remarquable travail de sélection. Je retrouve les danseurs que j’aime, que l’on peut que
trop rarement apercevoir dans les grands ballets classiques. Sarah Kora Dayanova éblouit la scène, Charlotte Ranson redouble de beauté, Amandine Albisson domine sa danse à la perfection. Les sept filles s’accordent bien tout en laissant une place à chacune. Elles sont sept caractères, sept personnalités à part qui dansent ensemble, qui se regroupent dans quelques pas pour se séparer ensuite dans des solos qui se sont nourris des autres. Les regards sont complices, les sourires sont plus ou moins évocateurs d’un certain bonheur. Les tensions et les relâchés qui sont présents dans toute la chorégraphie traduisent ces regroupements qui sont des moments de tensions, d’énergies mises en commun, tandis que les solos, les trajectoires solitaires vont être ces relâchés. Chaque danseur apporte sa danse, sans jamais dénaturer la chorégraphie.

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© Julien Benhamou

Tout n’est pas sans cesse en mouvement dans Rain. Il y a des pauses, des respirations, des parenthèses. Les garçons s’assoient sur les chaises et attendent que l’espace se libère pour danser. Je n’ai pas parlé plus haut des danseurs hommes. Si j’ai souvent vu Adrien Couvez dans des ballets contemporains, ce n’est pas le cas pour les deux autres. Marc Moreau montre une belle technique et un relâché du dos que je ne lui connaissais pas. Quant à Florian Magnenet, cette danse lui va bien mieux que les rôles de prince à mèche (clin d’oeil à Fab’) dans lesquels on veut l’enfermer. Là, sa danse respire, vit.

Des pauses dans le mouvement, on passe au ralenti, à la répétition. Ces effets sont très visuels, très cinématographiques presque. Les cordes qui encerclent l’espace donne l’impression d’un enclos, d’un refuge apaisant.

Des liens se tissent entre les personnages. Ils se touchent plus qu’au début, dansent parfois ensemble ou marchent dans la même direction. Ils s’entrechoquent, les rapports en deviennent violents. Des têtes viennent de cogner, ou s’enfoncer dans des ventres. Je ne peux m’empêcher à ce moment de penser à Café Müller de Pina Bausch où les corps s’attirent et s’aimantent parfois violemment. Cette violence des corps qui chutent, qui se rencontrent va de paire avec les variations de rythme dans la chorégraphie. On oppose un groupe à une duo ou un solo, dans l’espace mais aussi dans l’énergie des gestes.

Le groupe se retrouve dans une vague qui défile. Ce passage tranche encore avec le reste et permet de relancer les danseurs dans une nouvelle énergie. La couleur sable envahit l’espace. Les pas deviennent très sensuels. Tout se colore de la chaleur de cette ambiance. Cette sensualité des corps va être suivie d’un instant givrée, où tout devient bleuté, où les corps se reflètent sur les cordes qui forment  présent un mur de glace.

Un lumière circulaire éblouit la scène et la salle. Réveil d’un rêve éveillé, la musique cesse. Les danseurs effectuent quelques pas, comme des réminiscences de ce qu’ils viennent de danser. Ils sortent en courant derrière les cordes. La dernière a le privilège de laisser traîner ses mains dans ces fils de pluie.

Je suis restée bouche bée devant ce spectacle, tant par la chorégraphie, la scénographie que par la musique. C’est un superbe cadeau qu’a fait Anne Teresa de Keersmaeker à l’Opéra de Paris. Les danseurs lui rendent bien. Il faut à tout prix que je revois cette pièce qui m’a happée de bout en bout. Il n’y a pas de mots suffisamment intenses pour en décrire la beauté.

Rain sur le site de l’Opéra de Paris..

 Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.

Steve Reich Musique
Music For 18 Musicians
Anne Teresa De Keersmaeker Chorégraphie
Jan Versweyveld Décor et lumières
Dries Van Noten Costumes

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© JMC

  • Distribution du 23 mai 2011
MARTHA Juliette Hilaire
FUMYO Sarah Kora Dayanova
URSULA Laurence Laffon
ROSALBA Christelle Granier
ALIX Charlotte Ranson
TAKA Amandine Albisson
CYNTHIA Caroline Robert
IGOR Florian Magnenet
CLINTON Adrien Couvez
JAKUB Marc Moreau

 

  • Bonus vidéo : la musique de Steeve Reich