© Anne Deniau
Quelle belle semaine ! Après déjà deux Bayadères, une nomination, voilà la séance de travail Mats Ek / Jerôme Robbins. Avec les
jours qui ont vraiment allongés, je ne peux que retrouver le sourire. Celui ci s’efface peu à peu devant une flopée de scolaires (14 ans) dans les couloirs de Garnier. On a toujours de
l’appréhension de se voir le spectacle gâché par des rires idiots, des bavardages ou pire. Cela n’a pas manqué. Ce n’était pas horrible, mais suffisamment pour me déranger et qu’un « grrrrrr »
résonne dan ma tête.
© Laurent Phillipe
Après coup, j’ai réfléchi en me mettant à leur place. Façon de parler, car, je ne suis pas à leur place. Mes parents rongeurs sans pour autant m’emmener au théâtre, à l’opéra ou au concert, m’ont
toujours appris à être curieuse. Les études aidant, les merveilleux professeurs que j’ai rencontrés (pensée particulière à Mme Noury ou M. Jambet) ont continué d’éveiller ma curiosité et d’ouvrir
mon oeil à de nouvelles choses. On accepte alors des langages nouveaux, des modes d’expression inédits. On accepte d’être mal à l’aise, d’être dérangé, bousculé. En outre, on apprend les codes de
ces lieux au fur et à mesure, ces lieux qui semblent inaccessibles, voire réservés. Il n’en est rien. Je me suis donc mise à leur place, j’ai essayé de me propulser dans un monde dont je ne
connaîtrais pas les codes. Ces adolescents ont été dérangés par la longueur de la première chorégraphie. Moi aussi d’ailleurs d’une certaine façon. Je pense qu’en fait c’est très violent pour eux
de voir ces corps bouger sans rien y comprendre. Oui parce qu’à cet âge là, on veut mettre du sens sur les choses. Qu’il doit être compliqué de préparer des élèves adolescents à voir un spectacle
comme Dances at the Gathering. C’est une démarche courageuse, et il faut saluer le travail des professeurs et des acteurs du projet Dix mois d’école et d’opéra. Cela s’apprend
d’aller au théâtre, au musée. Le regard s’éduque et ce n’est pas toujours facile. Appartement les a surpris, dans le bon sens. La tête dans le bidet c’est « dégueulasse », mais cela leur
plaît plus que la mousseline rose de la jupette. A moi aussi d’ailleurs. La notion de la valeur monétaire a été aussi abordée par les enfants. « Vas-y y’a des gens qui payent pour voir ça ?!! »
Oui, oui, même cher parfois… car l’art et l’émotion n’ont pas de prix quand on y goûte. Je reste quand même convaincue malgré tout, que c’est une excellente chose que ces ados aient eu accès à
l’Opéra. Si au moins un d’entre eux a été touché, ému, interloqué, alors le professeur a gagné quelque chose, mais surtout l’adolescent. Cela vaut bien quelques bavardages.. !
© Agathe Poupeney
Parlons un peu ballet puisque ce fut tout de même l’objet de la soirée. J’ai trouvé de beaux moments de grâce dans Dances at the Gathering. Les apparitions de
Mathieu Ganio sont toutes un pur régal. Dans ce type de chorégraphie, ses lignes sont particulièrement bien mises en valeur. Sa finesse technique s’épanouit dans la dentelle chorégraphique de
Robbins. Ludmila Pagliero, ce soir en rose, rayonne et le duo formé avec Mélanie Hurel est bien équilibré. Leurs danses s’accordent et elles se répondent avec une joie visible dans leurs
énergies. Il y a tout de même quelques longueurs dans cette pièce. C’est beau, c’est évanescent, la musique est sublime, mais je ne suis pas sûre de tomber sous le charme. Nous verrons en
représentation.
Pour Appartement, c’est une autre histoire. Un florilège d’étoiles sur scène. Marie-Agnès Gillot, hypnotisante, Chaillet scotchant, Bélingard puissant, pour ne citer
qu’eux. Le groupe est très uni, il se dégage une force très particulière. On sent que cette oeuvre est un enjeu pour chacun à la fois individuel et collectif. Ils se mettent complètement au
service de l’oeuvre au point qu’on en oublie qu’on est en répétition.
Mais ça parle de quoi, cette pièce ? Et bien comme son nom l’indique, cela se passe dans un appartement et les scènes de la vie quotidienne sont revisitées par Mats Ek. Noyer son chagrin dans une
baignoire, se laisser aller à la mélancolie devant la télévision, oublier bébé dans le four pendant une conversation de couple, se désespérer devant une porte qui reste définitivement fermée.
Tous les interprètes sont fabuleux. Le duo Le Riche / Renavand dans la variation de la porte est très émouvant. La pièce est traversée par ces moments mélancoliques puis rebondit dans une
atmosphère plus rock’n roll. La scène des aspirateurs reste un des moments clés. L’écriture chorégraphique est d’une finesse épatante, comme toujours chez Mats Ek. Chaque geste a un sens, et on
pourrait mettre un mot, un sentiment, un cri sur chaque mouvement. Le final est aussi un instant délicieux, car on sent que cette énergie commune qui lie tous les danseurs est exponentielle.
Cerise sur le gâteau, Mats Ek monte ensuite sur scène pour faire quelques corrections. Malgré la fatigue, les danseurs remettent ça plusieurs fois. Un régal pour nos yeux !
© Agathe Poupeney
- Distribution du 9 mars séance de travail
Dances at the Gathering Jerome Robbins
Rose | Ludmila Pagliero |
Mauve | Eve Grinsztajn |
Jaune | Muriel Zusperreguy |
Vert | Agnès Letestu |
Bleu | Mélanie Hurel |
Marron | Mathieu Ganio |
Violet | Karl Paquette |
Vert | Benjamin Pech |
Brique | Alessio Carbone |
Bleu | Christophe Duquenne |
Appartement Mats Ek
Marie-Agnès Gillot, Clairemarie Osta, Alice Renavand, Amandine
Albisson, Christelle Granier, Laure MuretJérémie Bélingard, Vincent Chaillet, Nicolas Le Riche, Audric Bezard, Simon Valastro,
Adrien Couvez
© Agathe Poupeney
Tes réflexions sur le groupe scolaire sont intéressantes… J’avais mis un bon moment à aller au-delà de l’agacement ce soir là, mais en fait, si je regarde juste cinq ans en arrière (ce qui ne
m’amène malheureusement pas à 14 ans 🙂 ), je ne suis pas sûre que j’aurai autant apprécié ce spectacle, ni même « tenu le coup ».
Ah mais je suis tout à fait d’accord avec toi ! 🙂