Quand je n’ai pas d’honneur, il n’existe plus d’honneur.
© Laurent Phillipe
L’avantage de voir 3 distributions d’un ballet avant que le spectacle ne commence vraiment, c’est que l’on sait à l’avance celle(s) que l’on voudra revoir. J’avais hâte de découvrir Evan McKie dans le rôle titre. Peu d’artistes sont finalement invités à l’Opéra de Paris dans une saison.
Je vous épargne la course aux places lors d’une générale, J***, ma petite fée, m’a permis d’être en troisième loge de face et ce fut parfait. Voilà enfin le grand retour du Dupont dans un rôle intéressant, car les expériences McGregor et Ratmansky ne m’avaient pas permis
d’admirer son talent.
Si j’ai trouvé le premier acte un peu raide, Evan McKie laisse entrevoir de très belles choses. Il construit son personnage à mesure que la pièce avance. Au premier acte, sa
froideur pourrait presque être prise pour de la timidité. Dans le pas de deux, il montre un personnage complètement fermé qui ne s’ouvre et danse de façon ample quand il est seul. Il soulève Tatiana avec une telle légèreté, c’est comme si elle n’était pas là. Il ne la voit pas, elle ne la regarde pas. Les seuls moments où leurs yeux communiquent c’est quand il se retourne vers elle, pour lui retendre son bras pour la promenade. C’est dans une toute autre atmosphère que se déroule le duo Olga/Lenski. Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt montre de nouveau de grandes qualités. Elle est mutine, légère, avec une élégance de jeune fille, une danse souple, lui partenaire exemplaire, ne lâchant jamais son rôle de jeune homme amouraché, plein de vie, dansant avec joie et
générosité.
La scène de la chambre et du rêve laisse voir un EvanMcKie/Oneguine très énigmatique. Aurélie Dupont semble déjà à l’aise dans ses bras, malgré le manque de répétition. La suite des représentations sera sans aucun doute fantastique. Aurélie Dupont est comme à son habitude très aérienne, légère telle une plume. Elle ne touche pas le sol, elle est en plein rêve. Elle offre une danse élégante et ne quitte jamais son attente amoureuse face à cet homme.
© Laurent Phillipe
Après l’entracte, l’émotion monte encore d’un cran. Je n’ai plus du tout l’impression d’être dans une répétition. Aurélie Dupont et Evan McKie offre une dramaturgie de
toute beauté. La scène de la lettre est très violente, Tatiana est dévastée et ralentit sa danse. Elle évite son regard, son passage et même son ombre. Quand à Olga qui n’a pas vu la scène, elle danse avec entrain et joie avec le cynique. Josua Hoffalt est toujours aussi convaincant en Lenski, il s’impose devant son ami. Son solo dans la forêt avant le duel est émouvant. Il danse avec une belle technique, nuançant chaque mouvement, tout se passe comme si il savait déjà qu’il allait mourir. L’amitié brisée, il ne lui reste plus que ce moment solitaire dans cette forêt qui sera son tombeau.
J’ai aimé le froideur fragile d’Aurélie Dupont qui somme Onéguine de partir après la mort de son ami. Quelle émotion, de la revoir sur scène.
Dans le troisième acte, le bal est toujours aussi réussi. Les danses sont bien réglées, le corps de ballet est exemplaire. Les robes sont superbes, on a envie de se plonger dans
ce décor idyllique.
Je ne trouve pas que le rôle de Grémine aille à Karl Paquette, danseur trop imposant, avec une forte personnalité pour être dans ce petit rôle. Je vois plus Grémine comme un personnage effacé. Ceci dit Karl Paquette est un partenaire qui sait mettre en valeur la danseuse. Aurélie Dupont incarne à merveille la femme qu’est devenue Tatiana. Comme Ciaravola, elle est capable de passer avec aisance de la jeune fille éprise à la femme du monde. Evan McKie traverse l’espace avec un sentiment grandissant. L’amour est angoissant, oppressant, il se met à rêver de toutes ces femmes, mais pas une ne peut rivaliser avec Tatiana.
La scène finale m’a fait couler des larmes. Ils se déchirent, et chaque mouvement est étiré au maximum. J’ai été accrochée à chaque minute, à chaque seconde. Evan McKie est merveilleux, il a une aisance inégalable dans ce rôle. Il parvient à montrer dans cette dernière scène toutes les facettes du personnage avec une danse impeccable. Aurélie Dupont quant à elle, est une Tatiana qui ne sait plus quoi écouter. Son coeur lui parle de douceur, et elle se laisse faire dans des bras chaleureux, sa raison, raidit son corps, elle devient presque un objet froid. On ne peut que frissonner devant tant de grâce et de beauté.
- Distribution du 7 décembre 2011
Eugene Oneguine | Evan Mc Kie |
Lenski | Josua Hoffalt |
Tatjana | Aurélie Dupont |
Olga | Myriam Ould Braham |
Prince Gremine | Karl Paquette |
Piotr Ilyitch Tchaikovski | Musique |
Kurt-Heinz Stolze | Arrangements et orchestration |
John Cranko | Chorégraphie et mise en scène |
Jürgen Rose | Décors et costumes |
Steen Bjarke | Lumières |