Jean-Yves Kaced présente le parcours de Wayne Mac Gregor. Il rappelle qu’il vient de Manchester, qu’il a fait des études de chorégraphie, qu’il est e chorégraphe résident au Royal Ballet à Londres depuis 2006. Il a participé à de multiples projets et très variés dont Harry Potter, Kirikou, des émissions de télévision.Un homme très éclectique.
Brigitte Lefèvre Je m’étais dit que c’était moi qui allait lancer Harry Potter. (rires) C’est quand même pas rien…C’est quand même magnifique, je me demandais bien qui
avait pu faire ça. Tout d’abord merci Wayne, car ça a été un immense travail que tu as accompli avec les danseurs de l’Opéra, qui te connaissent bien. Dans ceux que tu as choisis, ils te connaissent bien, la liste était longue de ceux qui voulaient travailler avec toi, à tel point qu’Aurélie Dupont qui devait reprendre en septembre a repris plus tôt. Et elle en est ravie.
D’ailleurs je renouvelle pas mes excuses, mais mes regrets que vous n’ayez pas vu cette création [grève, ndrl]. Après cela vous appartient, vous aimerez, vous n’aimerez pas. Wayne nous emmène dans des univers très très variés. Pendant une heure dix on est à la fois dans quelque chose qui est très moderne et qui est en tous en les cas, pour quelqu’un qui aime la danse d’hier, d’avant hier d’aujourd’hui et d’après demain _ elle s’adresse en aparté à une balletomane assidue_ d’ailleurs j’étais ravie que vous ayez aimé je pensais que vous n’aimiez que le ballet classique, cela m’a fait plaisir… Pour terminer, une personnalité comme Wayne Mac Gregor c’est un philosophe sans vouloir le dire, un mathématicien sans vouloir le dire, je dis parfois que c’est un mutant, bon c’est peut être un peu idiot, mais en même temps c’est quelqu’un qui n’arrête pas de transformer la vie, c’est devenu vraiment un ami parce qu’il aime la danse, il aime les danses.
Wayne tu as commencé la danse en te disant que tu voulais être chorégraphe ?
Wayne Mac Gregor Oui, j’ai commencé la danse très tôt et avec mon arrogance à 20 ans je disais que je voulais être chorégraphe. J’ai grandi dans les années 70 avec John
Travolta, j’étais fasciné par Grease, La fièvre du samedi soir. Je voulais danser comme dans ces films mais surtout faire mes propres chorégraphies. J’ai commencé le travail sur mon propre corps. Mais comme vous pouvez le voir j’ai des bras et des jambes particulièrement longs, et je me suis demandé comment je pouvais fragmenter mon corps et savoir comment il allait dysfonctionner (missbehave).
Brigitte Lefèvre Quoi c’est tout ?! (rires). Quelle a été ta première chorégraphie?
Wayne Mac Gregor Il faudrait aussi en parler à ma mère car on est pas d’accord sur ce sujet là. Elle dit que mes premières chorégraphies datent des cours de danses
traditionnelles à l’école primaire. J’ai été formé à ces danses, puis en danses latinos. J’avais un professeur très ouvert d’esprit et qui me laissait toujours inventer mes propres chorégraphies. Il me disait tout le temps que j’avais mon propre tchatcha, ma propre rumba. Et j’ai toujours adoré les comédies musicales, en Angleterre on adore ça, et on en faisait dans les salles polyvalentes. J’ai toujours aimé cela. A l’école j’ai fait des études très classiques, sans éducation artistique spécifique, de la littérature, de l’économie, de l’histoire. Puis je suis allé à l’université et j’ai vraiment décidé de me tourner vers cela et j’ai été diplômé en chorégraphie et sémiotique. La sémiotique c’est l’enquête dans les signes de la vie et pour moi c’est une façon très éloquente d’envisager la chorégraphie. Mes premières vraies chorégraphies étaient à la fac et il s’agissait de faire des petites pièces de huit à dix minutes. Et en fait c’est la même chose aujourd’hui, je pensais qu’il y aurait un moment où l’on est chorégraphe, où l’on ressent ça, mais en fait c’est un processus, j’ai donc toujours la même angoisse de ne pas savoir ce que je suis en train de faire. (rires)
Brigitte Lefèvre Mais est ce que tu aurais pu avec ta sensibilité et ton apprentissage donner à voir ce que tu ressens autrement que par la danse ?
Wayne Mac Gregor Je ne pense pas et en même temps, j’ai grandi dans un monde où les technologies sont très présentes. Je fais partie des premières générations à avoir eu
des ordinateurs à la maison, j’ai passé beaucoup de temps à coder des logiciels simples. Les ordinateurs sont très présents dans ma tête dans mon univers. Je me souviens d’un des tout premiers logiciels que j’ai appris à coder, on avait un manuel, il fallait passer des heures sur le clavier pour entrer différents codes et quand on faisait ça il y avait une balle qui traversait l’écran de droite à gauche de gauche à droite, comme du ping pong. Il y a deux ans à San Diego j’ai pu répété cette expérience, mais simplement avec des électrodes autour de mon cerveau. La technologie a évolué a changé dans son rapport au corps et c’est surtout le corps qui a influencé la technologie. Donc pour moi c’est naturel, la technologie, aussi naturelle que la musique. Cela m’a appris par exemple qu’on peut créer de la danse à partir de la technologie. On peut partir de la musique, on peut partir de la technologie, de la philosophie, d’une phrase, d’une formule mathématique très compliquée. Mais la raison pour laquelle la technologie ne remplacera jamais le corps, c’est parce que le corps, c’est la chose la plus avancée technologiquement que l’on possède. Un des grands plaisir de travailler avec les danseurs ici, c’est que j’ai des instruments incroyables, qui pensent et avec lesquels je peux faire ce que je veux. On fait fausse route quand on dit que la danse est instinctive, pour moi c’est une activité cognitive. On ne peut pas créer de la belle danse si on ne tien pas compte de cet aspect là et de la connexion avec la pensée.
Brigitte Lefèvre Pour toi, il y a aussi une relation très forte avec la personne. C’est une relation très intime et très abstraite avec chacun de tes interprètes. Tu les as choisis chacun individuellement, on en a parlé. A chaque fois c’était avec une très grande connaissance des artistes. Comment tu arrives à gérer l’affect et le cérébral pour arriver à la danse ?
Wayne Mac Gregor Je pense que c’est toujours cela le défi ! C’est un processus de découverte et on cherche dans cette relation. Ce qui est important c’est ce qu’on ne
sait pas, pas ce que l’on sait. Ce qui est intéressant c’est leur signature personnelle, leur style. C’est important dans le choix des danseurs. Je crois que je fais une offre, que les danseurs prennent et doivent adapter à leur propre corps. Ils digèrent la proposition que je leur fait et me proposent quelque chose en retour. Cela va changer la trajectoire de notre travail. Nous sommes co auteurs. Ce qui compte ce n’est pas seulement le corps, mais aussi la curiosité du danseur, de vouloir essayer ça ou ça sur son propre corps.
Brigitte Lefèvre On va revenir sur L’anatomie de la sensation. Il y a deux distributions. D’une certaine façon tu as travaillé avec la première distribution, et la deuxième ce n’était pas forcément agréable pour eux, mais ça leur a donné une capacité d’interprétation très forte. Tu as été très content je crois de la deuxième distribution aussi. Comment tu vis ça toi en tant que chorégraphe quand tu vois une autre manière de danser par rapport à ce que tu as voulu?
Wayne Mac Gregor C’est quelque chose de très surprenant et de très vivant. Avec la première distribution on devient obsédé par les danseurs qu’on a en face de soi et
ensuite on est obligé de tout repenser à partir de cette seconde distribution et on doit revoir avec du recul sa propre chorégraphie. La deuxième distribution n’essaye pas d’être comme la première, ils font ça à leur manière, il y a des différences, mais que des bonnes surprises. Il y a une chose frappante c’est que dans les deux casts il y a une palette d’âges très large, et dans un certain sens une hiérarchie, comment un danseur, qui a tant de mouvements dans son corps, peut partager avec un danseur plus jeune.
Brigitte Lefèvre On avait eu cette rencontre autour de Genus qui avait remporté tant de succès. Quand je t’ai proposé de venir faire un ballet à Bastille, pourquoi tu as eu envie de faire ce ballet là sur cette musique, dans cette salle ? En deux phrases… (rires)
Wayne Mac Gregor Je ne devrais pas dire ça devant toi. La première chose à dire c’est que Brigitte est une directrice extrêmement courageuse. Elle te demande ce que tu
as envie de faire, il n’y a absolument aucune condition. Après elle fait son maximum, elle est extrêmement présente et c’est une vraie collaboration. Ce n’est pas juste « ah oui je fais un truc pour l’Opéra de Paris ». On travaille vraiment en profondeur, ça commence à un niveau philosophique et c’est à partir de cela que l’on construit. Dans mon Ipod j’avais la musique de Turnage Blood on the floor depuis 8 ans. Je la connaissais bien et j’ai cherché longtemps un contexte pour me servir de cette musique. Et quand j’ai parlé avec Brigitte je venais de voir la rétrospective de Bacon à la Tate. Quand j’ai revu les tableaux je me suis souvenu combien je les aimais. C’était une expérience extrêmement physique. Cela a de l’impact. Cette rétrospective donnait beaucoup d’informations sur les processus créatifs de Bacon. Il y avait cette idée que son studio était un album rempli d’images de toute sorte. Il prenait ces images et il les transformait, comme dans un scrapbook. Il pouvait se servir d’un tableau de maître et le changer en autre chose, il pouvait jeter de la peinture sur une toile, il pouvait faire une première image, peindre par dessus et ensuite essayer de faire réapparaître la première image à travers la deuxième. Ce sont des procédés que l’on retrouve dans la danse. J’avais aussi envie de réagir aux critiques que je lisais sur Bacon qui souvent disaient que c’était une peinture décorative. C’est pourquoi j’ai choisi l’architecte le plus minimaliste que je connaissais qui crée des espaces raffinés. Il allait nous donner une sorte de toile avec laquelle travailler sur scène, dans l’espoir d’effacer tout ce qu’on connaissait sur ses tableaux pour les recréer sur scène, les ré-imaginer dans un autre langage, un autre espace. Et ensuite j’ai pensé aux danseurs. qui serait capable de recréer ça, et là on pense forcément à Marie-Agnès Gillot ou Jérémie Bélingard qui
peuvent reformer ces torsions, cette violence. C’est comme un langage alien qui est à l’intérieur de leur technique extraordinaire. C’est une dualité propice à la physicalité de Bacon.
Brigitte Lefèvre Dans le début de ta pièce on voit Jérémie Bélingard et Mathias Heymann dans cette dualité. Deux hommes qui dansent ensemble et qui mutent. C’est une
scène d’amour, on est vraiment dans beaucoup de choses qui rendent le ballet assez étrange. L’espace est immense et magnifique grâce à cet architecte dont tu parlais, ce sont des solitudes dans des ensembles, à chaque fois avec de la violence de la douceur. Tu as construit cela par rapport à la musique ou par rapport aux personnages?
Wayne Mac Gregor Cela vient de la façon dont peint Bacon où il y a toujours des personnages isolés, il y a rarement plus de deux personnages dans ses peintures. Bacon
avait une passion pour un photographe qui photographiait des gens en mouvement, et il en restait du coup une image fixe. Bacon disait de sa peinture qu’elle ne contenait aucun récit mais pour moi le récit est là, la vie privée de Bacon contamine et altère sa peinture.
Brigitte Lefèvre Il y a un passage qui parait très surprenant dans ta pensée, avec trois danseuses, Laurène Lévy, Myriam Ould-Braham et Dorothée Gilbert. Comment ça
s’est fait? Tu voulais qu’elles aient les cheveux longs.
Wayne Mac Gregor Je suis jaloux des gens qui ont des cheveux !! Il faut savoir que la vie privée de Bacon était très tourmentée, il allait dans les bistros de Soho
traîner avec n’importe qui et souvent il peignait ivre. Je trouvais intéressant d’avoir ces trios femmes qui dansent devant lui, avec de longs cheveux. Un peut comme si les têtes étaient à l’envers. C’était un vrai défi physique de danser sur les pointes avec les cheveux dans les yeux. Cela donne un côté cru au corps que je trouve fascinant.
Brigitte Lefèvre Parfois on dit que la danse classique est dépassé, que maintenant il faut aller ailleurs. Tu t’appuies beaucoup sur la technique classique. Je rappelle
d’ailleurs pour ceux qui ne le savent pas que tu es le chorégraphe choisi par Monica Masson, une grande directrice, j’allais dire aussi (rires). Tu connais très très bien la danse classique. Pour toi c’est un matériau, c’est un encombrement. Comment tu gères cela?
Wayne Mac Gregor Pour moi le classique c’est un grand plaisir. Souvent on dit que ça ne m’intéresse pas les ballets narratifs, je ne sais pas d’où cela vient, car cela
m’est totalement étranger. Je crois c’est une responsabilité en tant que chorégraphe contemporain de faire évoluer la forme, de faire évoluer le langage. Je pense que quand on a des danseurs aussi techniquement perfectionnés que ceux de cette compagnie, très différents des danseurs d’il y a une trentaine d’années, ils sont à la recherche de nouveaux défis. Ils veulent qu’on leur propose des choses qu’ils n’arrivent pas à faire. C’est le plus grand plaisir d’un danseur, d’être confronté à quelque chose qu’il n’arrive pas à faire. Pour moi c’est une définition de la virtuosité, de partir de quelque chose qu’on arrive pas à faire et d’arriver à un point où en devient expert. Ce qui est bien quand on est confronté à quelqu’un comme Mathias Heymann, on ne lui donne pas quelque chose de difficile à faire, c’est lui qui dit « alors? alors? ». C’est donc une exploration fondée sur une grande complicité au point de départ.
Brigitte Lefèvre J’ai eu le plaisir de te découvrir à Londres, au Royal Ballet, il y a déjà quelques années. Maintenant tu chorégraphies dans les plus grandes compagnies
du monde, souvent des compagnies classiques. Comment tu qualifierais les grandes compagnies, opéra de Paris mis de côté, avec qui tu as travaillé? Tu vois différents styles, différentes qualités ?
Wayne Mac Gregor C’est comme aller dans des mondes différents. Je fais très attention aux compagnies que je choisis. Les empreintes des danseurs au Royal Ballet sont
très différentes que celles des danseurs d’ici. C’est pour cela que je veux faire des pièces pour eux et des pièces ici, parce que c’est différent. La manière de danser est différente. New-York c’est aussi très différent. Le plus important c’est aussi la structure, l’organisation. Par exemple, ici à Pais, quand vous faites une création vous avez un groupe de danseurs tout le temps. A New-York vous les avez une heure en studio et ils travaillent sur 5 autres chorégraphies en même temps. A Milan c’est encore autre chose. Le travail en studio devient différent. Aussi ici on travaille beaucoup sur le programme, les conversations étaient beaucoup plus philosophiques. On se posait vraiment la question de savoir, qu’est ce qu’il faut dire au public avant qu’il n’aborde le spectacle. Il y a quelque chose au niveau du discours qui est spécifique à cet établissement. C’est différent que d’avoir un paragraphe dans une liste de noms. C’est diriger le public différemment. La culture de l’établissement c’est quelque chose de très important. Quand on arrive en Russie on ne sait pas quels danseurs on aura pour faire sa création. Il faut faire avec. Il faut être flexible pour aborder des contextes différents.
Brigitte Lefèvre Ca va être bien. Ils t’attendent avec impatience. La musique a beaucoup d’importance dans L’anatomie de la sensation pour Francis Bacon. On a
la chance qu’il y ait l’ensemble intercontemporain. C’est un des plus grands ensemble d’Europe. Quel a été ton lien avec les musiciens? Tu as pu parler avec eux?
Wayne Mac Gregor Turnage est sans doute le compositeur, hors classique, le plus connu en Grande-Bretagne. Il n’est pas très connu en France. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu choisir une des ses compositions. L’ensemble fait une interprétation très formelle de la partition et à côté il y a ces quatre musiciens qui font presque une interprétation libre et improvisée. J’ai lu quelque part que Bacon détestait aller au théâtre, il ne tenait pas en place mais il adorait le jazz. Je pensais qu’il y avait quelque chose de très intéressant de confronter cette liberté et cette rigueur absolue, c’est quelque chose que nous avons visé dans la chorégraphie. En même temps l’improvisation est quelque chose de très angoissant, je suis quelqu’un qui contrôle tout, qui veut tout maîtriser, alors ça m’inquiète. Pour les musiciens jazz, c’était vital de voir les danseurs, ils étaient très malheureux à l’idée de ne pas voir les danseurs. On en est venus à un compromis, nous avons posé des retours vidéos dans la fosse, donc ils regardent les danseurs pendant qu’ils jouent. La charge émotionnelle, du dialogue entre danseurs et musiciens est incroyable.
Brigitte Lefèvre Pour terminer, il y a quelque chose qui compte beaucoup pour toi. C’est ta rencontre avec des jeunes, qui ne sont pas des danseurs. Tu veux bien en
parler pour qu’on finisse là dessus?
Wayne Mac Gregor J’adore les jeunes et particulièrement ceux qui n’ont jamais dansé. Je rentre à Londres pour travailler avec une trentaine de jeunes d’East London qui
n’ont jamais dansé. Ils vont avoir leur première sur la scène de Covent Garden samedi prochain. Ça m’intéresse aussi beaucoup de travailler avec des jeunes chorégraphes. J’ai travaillé avec une jeune de 16 ans qui va faire sa première chorégraphie pour le Royal Ballet dans cette même soirée. Il n’y a pas d’âge pour être créatif. Les personnes les plus créatives que je connaisse ont 8 ou 9 ans. Dans note système d’éducation en Grande-Bretagne, la créativité est écrasée au fil des années. A la fin, ils ont du mal à trouver leur propre créativité. Une des choses que nous avons proposé pour les Jeux Olympiques, c’est que je travaille avec 2012 jeunes pour faire un énorme spectacle. Le pus important c’est que la chorégraphie sera la leur, moi je suis là pour les accompagner.
Entretien intéressant, même si on n’a pas pu poser de questions au chorégraphe. Je décide de ne pas me précipiter pour voir les Enfants du Paradis, j’irai au deuxième acte après un verre et regarder Desdémone se préparer dans les escaliers.