John Neumeier est un chorégraphe familier du public de l’Opéra de Paris grace au nombre de ses oeuvres au répertoire. Parmi celles que je connais bien et que j’apprécie plus particulièrement, il
y a Casse-Noisette, Sylvia, le superbe ballet La dame aux
Camélias et la Troisième Symphonie de Gustav Mahler qui m’avait coupé le souffle il y a deux
ans. C’est ravie que j’avais vu que dans la programmation 2010-2011 le Ballet de Hambourg était invité.
Je n’ai pas été déçue. La danse de Neumeier est légère, tout semble flotter dans ce ballet. Il ne faut pas s’y tromper, le propos de John Neumeier est dense et complexe.
Parzival est un sujet qui a hanté John Neumeier de longues années. « Comment construire un ballet autour de ce personnage? » fut la problématique de départ. John Neumeier propose d’abord une
lecture chronologique de l’oeuvre. La pièce s’ouvre sur la forêt dans laquelle Parzival est élevé. On découvre un enfant asexué, on ne sait pas bien si c’est une fille ou un
garçon, à cause de sa chemise de nuit. Il a pour compagnon un ours en peluche. La forêt représentée par un ilôt de bambous, est une image parfait de l’enfermement maternel. Herzeleide, sa mère,
refuse que Parzival participe à la violence de ce monde et meurt comme son père Gahmuret. Les seuls compagnons du jeune enfant sont de superbes oiseaux noirs qui traversent la scène en couple.
Les costumes sont très beaux, des pantalons très épais fait de bandelettes noires qui bougent telles des plumes dès le moindre mouvement. Les femmes oiseaux sont portées par les hommes et de
grands jetés développés en grands jetés attitude, elles volent dans l’espace scénique. Ces oiseaux entourent eux aussi Parzival loin du monde. Le monde qui l’entoure est donc un monde de silence,
silence de sa mère, silence de la forêt, des oiseaux, de son seul ami puisqu’il est en peluche et de son père mort, qui ne peut lui raconter l’horreur des combats et de la vie chevalière. Quand
entrent sur scène trois chevaliers, en costumes dorés et argentés, Parzival veut jouer avec eux. Les trois hommes dansent dans un langage qui tranchent complètement avec celui de Parzival, des
oiseaux et de sa mère. Ils sont directifs, presque robotisés. Ils me font penser aux jardiniers du Parc, s’introduisant dans le monde clos de ce chevalier en puissance et voulant le transformer, comme les
jardiniers du Parc construisant le jardin propice à l’amour. Parzival annonce donc à sa mère qu’il va la quitter. Elle essaye de le retenir. Sa robe est comme le monde qu’elle a
bâtit autour de lui. Elle peut l’enrouler, l’enrôler peut être, pour le garder près d’elle, grâce à sa robe, qui lui servira plus tard de linceul. Mais rien n’y fait, il la quitte et avec sa robe
d’enfant.
Herzeleide se retrouve donc seule et pleure le départ de son fils. Cela lui rappelle son mari. Il lui apparaît et dans un duo amoureux et tragique il l’emporte, enroulée dans sa
robe, vers le monde des ténèbres.
Parzival lui s’en va vers son nouveau destin. Il va aller de rencontres en rencontres. Ce qui m’a frappé c’est à quel point la danse de Neumeier est proche des textes de Chrétien
de Troyes et Wolfram Von Eschenbach. Sa danse qui est très loin de toute forme de pantomime traduit à merveille l’histoire en mouvements. J’en profite pour parler de la musique car on m’a souvent
dit que je n’en parlais pas assez voire pas du tout. D’abord, quel dommage que la musique fut enregistrée! Je ne suis ni sourde ni insensible à la musique, je n’en parle pas car je ne sais pas
choisir mes mots pour en dire quelque chose qui aurait du sens. Je peux vous dire qu’en tous cas, la musique vivante, par un orchestre m’a cruellement manqué. En plus l’enregistrement était
vraiment nul. Cela aurait donné une dimension bien supérieure au ballet si il avait été dansé avec orchestre. John Neumeier a choisi trois compositeurs pour mettre en scène son ballet. D’abord
Wagner, car c’est de lui que tout est parti. L’opéra de Wagner lui évoque à merveille la relation de Parzival avec sa mère, mais ne lui suffit pas. Il écoute donc John Adams notamment El
Dorado et Arvo Part. La danse lie ces trois compositeurs et l’oeuvre ne semble plus faire qu’un avec toutes ces musiques.
La première rencontre va être le Chevalier Vermeil. Il a une côte de maille couleur vermeil et un costume rouge par dessus. Parzival le combat et parvient à le vaincre en lui
dérobant son vêtement. L’humiliation, et la victoire qu’il inflige à son adversaire sont symbolisées par le déshabillage de ce chevalier qui se retrouve au sol, nu. Le combat est très beau, très
violent, et en même temps, il semble trop facile pour notre jeune héros. J’ai apprécié le danseur qui a interprété le Chevalier vermeil, je l’ai trouvé d’une grâce majestueuse.
Parzival peut enfin devenir ce pour quoi il a toujours été destiné. Il quitte ses habits de « fou » et revêt la tunique rouge. Il peut enfin entrer à la cour du roi Arthur et se
mettre à la quête du Graal. Il y apprend tous les codes, y côtoie des grands chevaliers, apprends à y faire la guerre. Les scènes de guerres sont d’ailleurs d’une rare violence.
Il y rencontre aussi la jeune fille qui ne sourit jamais, qu’il parvient à faire rire. C’est comme si elle se moquait presque de lui, elle perçoit déjà qu’il va regretter ce
moment, ce choix dans sa vie. Elle incarne une certaine spiritualité, ce côté qui manque cruellement à notre chevalier dans cette première partie. On voit sous nos yeux cet homme qui se
transforme. D’une danse enfantine et maladroite, son langage est maintenant clair et robuste. Il peut désormais affronter n’importe quel ennemi. Il se bat sans trop savoir pourquoi. Les portés
chez Neumeier sont toujours aussi impressionnants. La guerre se livre à coup de galipettes sur le dos des uns et des autres, de chevauchées sur les épaules, le tout avec fluidité et aisance.
Dans cette guerre, il rencontre aussi l’amour et le désir, avec Orgeluse, la jeune femme charmante. Leur rencontre est très sensuelle, très charnelle. Les corps se frottent, sont
attirés, sont presque toujours collés par un morceau de corps. De cette expérience, il comprend la souffrance d’un homme qu’il avait rencontré un peu plus tôt, le roi pêcheur. Il
comprend que la passion peut détruire, il commence à se poser des questions qu’il ne s’était jamais posées auparavant et sa danse en devient hésitante, elle semble s’arrêter, se ralentir. Elle
est coupée de ces points d’interrogations. On est là au coeur de la réflexion de Neumeier qui propose un ballet de réflexion, profond et plein de problématiques. Si il choisit Parzival pour héros
ou Marguerite dans La dame aux Camélias, c’est pour raconter un parcours de vie, juché d’obstacles qui font grandir et changer un destin. Pour Parzival, on est dans le récit initiatique, dans
l’éducation progressive et solitaire d’un jeune homme. L’interprétation a une place toute particulière et Edvin Revazov me happe du début à la fin pour cela. La danse que lui a construit le
chorégraphe évolue avec sa réflexion, ses rencontres dont il s’empreigne, ses combats, ses peines. Je crois que c’est ce qui m’a le plus émue et plu dans ce ballet. On voit le personnage changer
sous nos yeux et présenter une danse à chaque instant renouvelée.
L’entracte me laisse l’occasion de repenser à ce que je viens de voir. Dans l’assemblée, beaucoup d’allemands qui sont venus admirer leurs compatriotes. Je suis tout de même un
peu déçue car l’Opéra n’est pas bien plein. Je tente alors ma chance au parterre où j’avais repéré plusieurs places. L’ouvreur me le confirme mais les absents arrivent au compte goutte et
remplissent finalement l’orchestre. Il me confie alors à son collègue qui tente de me placer en baignoire, mais rien n’y fait. Une partie de la direction absente à la première partie arrive et
remplit ces sièges bien confortables. Tant pis, je croise Alice Renavand et en profite pour discuter. Je ne peux que lui exprimer mes regrets qu’elle n’est pas eu le poste de première danseuse et beaucoup de bonheur pour l’année à venir.
Il est temps de retrouver ma place et de me replonger dans cet univers. La deuxième partie est très forte. J’ai adoré ! On dirait que pendant notre entracte, Parzival a encore mûri. Il apparaît
meurtri, il a réfléchi au sens de sa vie et elle lui semble bien dénuée de tout sens justement. La première scène présente des danseuses dans des halos de lumières qui effectuent
des mouvements très lents, comme si la réflexion spirituelle rentrait peu à peu dans l’esprit de Parzival. J’apprécie cette scénographie entrecoupée de « noirs », qui comme le fil d’une pensée peut
s’arrêter à tout moment quand on ne parvient pas à répondre à une interrogation. Ce passage remet en cause la spiritualité de Parzival, qui semble bien confronté à la question divine.
Mon passage préféré est la deuxième scène de la deuxième partie « trois petites gouttes de sang dans la neige ». Au sol, un tapis de scène blanc (dégoûtant par ailleurs, un coup de
serpillière avant le ballet aurait été le bienvenu…). Pour la musique, Für Alina d’Arvo Part, correspond parfaitement à l’instant que vit le héros. Trois jeunes femmes habillées de
robes rouges en velours et de leurs chapeaux pointus blancs viennent rappeler à Parzival tout le sang qu’il a fait couler. La féminité de l’allégorie lui rappelle aussi sans doute le désir qu’il
a pu avoir pour Orgeluse. Il danse dans des mouvements similaires à ceux que l’on a pu voir dans la première partie. Ce passage est un moment de calme dans le ballet, la neige semble si présente
quand on voit s’éloigner au fond de la scène ces trois petites gouttes de sang.
Il est une nouvelle fois confronté à la question divine quand il croise sur sa route un homme simple, pauvre qui prie et aide son prochain. Lui qui couvert par la gloire se
pensait au dessus de tout, découvre la nature bonne de cet homme et ne peut qu’être attiré par lui. Il se déshabille, enlève sa veste militaire et danse avec lui. A nouveau, il adopte le langage
de cet homme. Le duo est superbe, parfaitement réglé et reflète l’inconscient de Parzival et l’amène à la dernière scène du ballet.
La dernière scène est très forte. Elle s’ouvre sur la musique de Wagner (Parsifal, prélude, pour orchestre) et se poursuit sur The wound dresser de John Adams,
et là encore un baryton manque cruellement à cette scène. Néanmoins je dois faire sans, et les danseurs surtout, donc faisons sans. Dans cette dernière scène tout revient à la mémoire de
Parzival, comme un accomplissement de sa réflexion. Sa mère, dont il regrette la mort, le chevalier Ither, la jeune fille qui ne souriait jamais et qui ne sourit plus, mais aussi des oiseaux
blancs qui lui rappellent ceux de son enfance, époque de bonheur simple à jamais révolue. C’est un très beau tableau qui monte en intensité (et j’aurai aimé entendre la voix d’un baryton qui
monte en intensité!), tout s’éclaire pour ce jeune homme. Le premier salut, lui seul sur scène semble prolonger le ballet. Il finit bien tout seul, loin du monde mais avec peut être un goût plus
amer dans la bouche, et plus de sang sur les mains.
J’ai adoré ce ballet, j’y ai trouvé ce qu’on trouve dans les contes, les histoires d’enfants, dans les grandes épopées, dans les ballets les plus modernes. C’est un ballet plein de nuances qui
prends des couleurs différentes à chaque tableau de part la musique et la chorégraphie. L’initiation à la vie de ce jeune héros n’est que le reflet de la réflexion de Neumeier qui est et reste un
grand génie. En revenant samedi soir à Garnier, car j’y avais laissé mon programme pour me le faire dédicacer (rencontre du lac des cygnes et puis mon cours de danse, on ne peut pas tout faire!)
par le chorégraphe (merci d’ailleurs à l’équipe de la Galerie de l’Opéra), je vois trois touristes qui sortent de l’Opéra. « euh vous ne restez pas au spectacle? _ non on ne voit rien! » Adorables,
elle me donne leur place et je file. J’avais raté les quarante premières minutes. Un ouvreur charmant me place en troisième loge de face, tiens je suis encore mieux qu’hier ! Je passe de nouveau
un très beau moment. Allez y, il n’y a pas beaucoup de dates, mais il y a des places ! La compagnie est très belle (j’ai raté Otto Bubenicek à mon grand regret, il dansait dans la distribution de
14h), il n’y a que deux compagnies invitées dans l’année (Bolchoï en 2011) à l’Opéra, il faut aller les voir !
- Distribution complète
PARZIVAL Edvin Revazov
HERZELEIDE, SA MÈRE Joëlle Boulogne
GAHMURET, SON PÈRE Dario Franconi
LE ROI PÊCHEUR Carsten Jung
ORGELUSE, LA JEUNE FEMME CHARMANTE, Hélène Bouchet
LA FEMME QUI NE RIT JAMAIS Anna Laudère
L’HERMITE Aleix Martinez
ITHER, LE CHEVALIER VERMEIL, Kiran West
GORNEMANS DE GORHAUT Ivan Urban
GAWAIN, UN CHEVALIER, Thiago Bordin
BOHORT, UN CHEVALIER Alexandr Trusch
LIONEL, UN CHEVALIER Yohan Stegli
LES OISEAUX
Maria Baranova, Cecila Haas, Isadora Meza, Taisia Muratore, Yuka Oishi, Zhaoqian Peng, Hannah Coates, Lucia Rios, Mariana Zanotto, Anton Alexandrov, Silvano Ballone, Dao Yuan Chen, Orkan Dann,
Yaroslav Ivanenko, Lennart Radtke, Thomas Sthurmann, Konstantin Tselikov.
LES GUERRIERS
Anton Alexandrov, Braulio Alvarez, Emanuel Amuchastegui, Silviano Ballone, Thiago Bordin, Zachary Clark, Orkan Dann, Yaroslav Ivanenko, Vladimir Kocic, Marcelino Libao, Aleix Martinez, Alban
Pinet, Lennart Radtke, Yohan Stegli, Thomas Stuhrmann, Marc Jubete, Sasha Riva.
LA COUR DU ROI ARTHUR
Catherine Dumont
Maria Baranova, Yuka Oishi, Anna Laudère, Maude Andrey, Yun-Su Park, Patricia Tichy, Miljana Vracaric, Mariana Zanotto.
Silviano Ballone, Thiago Bordin, Orkan Dann, Vladimir Hayryan, Yaroslav Ivanenko, Yohan Stegli, Thomas Stuhrmann, Alexandr Trusch, Konstantin Tselikov, Braulio Alvarez, Lennart Radtke.
LES CHEVALIERS DU GRAAL
Anton Alexandrov, Silviano Ballone, Thiago Bordin, Orkan Dann, Vladimir Hayryan, Lennart Radtke, Yohan Stegli, Thomas Stuhrmann, Alexandr Trusch, Kiran West.
LES BELLES FEMMES
Maria Baranova, Amélie Berthet, Lucia Solari, Priscilla McDonald, Taisia Muratore, Yuka Oishi, Yun-Su Park, Zhaoqian Peng, Patricia Tichy, Miljana Vracaric.
DEUX AIDES DU ROI PÊCHEUR Dao Yuan Chen et Zachary Clark.
L’HUMANITÉ
Maude Andrey, Maria Baranova, Amélie Berthet, Kristina Borbelyova, Hannah Coates, Catherine Dumont, Cecila Haas, Isadora Meza, Priscilla McDonald, Taisia Muratore.
Yuka Oishi, Yun-Su Park, Lucia Rios, Patricia Tichy, Miljana Vracaric, Sophie Vergères.
Ivan Urban
Emmanuel Amuchastegui, Silviano Ballone, Dao Yuan Chen, Zachary Clark, Orkan Dann, Vladimir Hayryan, Alban Pinet, Lennart Radtke, Thomas Stuhrmann, Konstantin Tselikov, Sasha Riva.
La page de L’Opéra est là
Un article sur Cinedouard.com à lire là
Ne manquez pas de lire l’article de Danses avec la plume
Invité par l’Opéra de Paris, le Ballet de Hambourg présente Parzival – Episodes et Echo de John Neumeier. Passionné par les personnages littéraires, le chorégraphe offre une lecture
personnelle de la quête du chevalier Parsifal. Sa sensibilité musicale et son talent à traduire les émotions trouvent leur aboutissement dans les partitions qui accompagnent ce voyage
chorégraphique.
John Adams, Richard Wagner et Arvo Pärt | Musiques |
John Neumeier | Chorégraphie, costumes et lumières |
Peter Schmidt | Décors |
Comme je te l’ai déjà dit, j’ai eu pour ma part beaucoup de mal à entrer dans ce ballet. Je n’y suis pas rentrée du tout d’ailleur, sauf pour l duo avec la femme qui ne sourit jamais, magnifique.
Je reconnais que ce ballet est riche, loin d’etre inintéressant… Mais ça n’a pas pris sur moi.
J’ai été frappé par contre par la grande qualité des danseurs, avec une danse très fluide et beaucoup de personnalité. J’aimerais bien revoir cette troupe dans un ballet plus classique.
Je sors de la représentation en matiné. Une compagnie formidable à ne pas râter !
Le spectacle est superbe et techniquement très difficile ce qui n’est malheureusement pas apprécié à sa juste valeur !
C’est un ballet dont on ne sort pas léger, mais malgré tout beaucoup de moment poêtiques (Arvo part).
C’est toujours un plaisir de vous lire !!
Merci