La Batsheva Dance Company est à Chaillot pour les fêtes avec deux pièces : Naharin’s Virus, pièce emblématique de la compagnie et la géniale Decadance Paris, une version plus étendue que celle découverte il y a deux ans. Retour sur l’envoûtant Naharin’s Virus, vu le 19 décembre.
Au centre du plateau, il y a une soufflerie qui fait danser un bonhomme de tissu. Comme une poupée de chiffon à laquelle il faut tenir les membres pour lui donner un semblant de vie, ce personnage sans visage s’anime au gré du vent. Plus on le regarde et plus l’on s’invente toute une musique, qui résonne uniquement dans sa propre tête. Même du 3ème rang, on entend à peine la soufflerie qui rythme la danse de ce corps sans vie. Les murmures de la salle sont une toute autre mélodie.
La musique qui éclate plonge la salle dans l’Orient avec ses percussions qui frappent et font vibrer les sièges. Un mur noir au fond de la scène s’élève. Sur lui, un homme en costume commence un monologue, plus qu’un monologue, un discours adressé au public. » Vous êtes les bienvenus. Cette pièce est un prologue. […] On ne joue pas ». Le texte est tiré de la fameuse pièce de Peter Handke, Outrage au public. Au fond, une femme tire un trait à la craie sur le mur noir. Elle écrit « VOUS » puis fait le tour de son propre corps, avant de faire celui des autres. Le texte de Handke continue, il ne peut pas laisser indifférent, il questionne le spectateur, sur son statut, sur sa place dans la salle, sur la frontière qui existe ou non entre lui et le danseur qui est sur scène. Les corps qui sont dans cette salle, où scène et sièges se mélangent, forment-ils une seule et même chose ? La suite de la chorégraphie pourrait permettre d’y répondre, à moins qu’il ne le faille pas, et, juste admirer, les corps qui lentement se placent sur le plateau. La craie tombe, une partie des danseurs est en ligne à l’avant scène. Des percussions frappent d’un coup et la ligne se met à danser. Un par un, les danseurs entrent dans une sorte de transe. Les regards sont suspendus, le notre est plongé dans le leur. Au fond de la scène, d’autres écrivent, dessinent, remplissent ce mur. Les lettres apparaissent : PLASTELINA. Chaque lettre a sa graphie et renvoie à un imaginaire, tout comme la danse qui a lieu sous nos yeux à la première ligne.
L’écriture chorégraphique de la pièce est très musicale. Les corps respirent ensemble et on est invité à respirer avec eux. Les corporythmes, le bruit des craies, les voix des danseurs, les variations de volume de la musique qui accompagne la danse, tout contribue à nous plonger dans l’univers des danseurs, peut-être nous y mêler pour mieux comprendre ce qui se joue en scène. La danse est énergique, comme un virus qui se propage à travers les corps, et qui donnerait une sorte d’électricité aux corps. C’est à ce moment d’adhésion totale que le texte prend une autre facette. Il faut se détacher, alors le public est insulté, conspué, méprisé. Sur scène, pendant ce flot de paroles insultantes, les danseurs tournent sur eux-mêmes, un bras en l’air, en accompagnant le refrain de la chanson. Un dernier tableau complètement euphorisant, et captivant, à l’image de cette compagnie.