Ce lac tantôt fait avec les larmes de la mère d’Odette, tantôt avec son grand père qui pleure selon les versions, annonce la tragédie de ce conte merveilleux. J’ai relu l’introduction de Marcel
Schneider dans la revue l’Avant scène. Il y fait le point sur les origines du Lac, d’où vient ce conte, cette femme oiseau qui est devenu un tel mythe. Il le dit très bien qu’on
connaisse ou non la danse, tout le monde sait la légende qu’est le Lac des cygnes. Je ne sais plus qui dit « Le Lac n’est pas mon ballet préféré, mais c’est le plus beau ballet du monde. »
Avis aux balletomanes, cela fait trois jours que je ne retrouve plus cette citation.
C’est un vrai conte. Il faut y croire, sinon la magie ne peut pas opérer. La merveilleuse musique de Tchaïkowsky me fait entrer complètement dans l’ambiance. Karl Paquette est un prince rêveur,
presque enfantin. Peu à l’écoute de son précepteur, son regard est fuyant de toute réalité. Je me régale dès le premier acte. Le corps de ballet est réglé comme un métronome. La classe des
coryphées avec Allister Madin, Cyril Mitilian, Marc Moreau and cie présentent un travail de groupe remarquable. Les diagonales et les lignes se forment avec aisance. Plus que n’importe quelle
autre, la chorégraphie de Noureev offre une architecture remarquable. Ainsi la danse des coupes est dansée dans cette version uniquement par les garçons et ils sont d’ailleurs très applaudis.
Chez les jeunes femmes, on ne peut passer à côté des ports de tête de Sarah Kora Dayanova, Héloïse Bourdon et Sabrina Mallem. Leurs ports de têtes, leurs grands sourires sont à eux seuls une
grande fête. Dès les premiers instants où Stéphane Phavorin entre sur scène, il dégage un fort charisme et promet un Rothbart maléfique. Il fut inquiétant pendant tout le ballet. Dans la version
du Lac de Noureev, une grande place est faite à Siegfried. Noureev lui donne quatre variations qui sont exécutées avec difficulté par Karl Paquette ce soir là. Ses appuis sont fragiles, il
sautille à la réception des sauts. C’est dommage car c’est un artiste pour qui j’ai beaucoup d’estime, mais depuis quelque temps il me semble qu’il est fatigué. Dans le premier acte, Siegfried
refuse de prendre part aux divertissements que lui offre ses amis. C’est là qu’est toute la subtilité de Noureev. Siegfried entre t-il dans un rêve, dans le fantasme de l’être aimé ou est-ce la
réalité? J’aime la vision « psychologisante » de Noureev car elle permet une grille de lecture de l’oeuvre à plusieurs niveaux. Ces rêveries du premier acte et la double face de Wolfang/Rothbart
prépare à la plongée dans le lac. On est toujours d’un côté ou de l’autre du miroir.
Emilie Cozette entre et la douceur de son visage me fait une bonne première impression. Ses détracteurs peuvent continuer de la critiquer, je la trouve pour ma part convaincante. Elle respecte la
volonté du chorégraphe qui veut faire d’Odette une princesse cygne et non un oiseau comme si une fois encore on était simplement dans une projection, un fantasme de Siegfried (le cygne comme
symbole de pureté, un désir inaccessible). Pour comprendre cela je vous conseille de lire l’article de Rosita Boisseau dans Le Monde. Emilie Cozette n’a donc pas les bras excessivement en arrière et les
jambes qui montent au plafond, mais elle est à mon sens dans ce que voulait Noureev. La « discussion » pantomime est très bien exécutée et le duo avec Karl Paquette
fonctionne bien. Le retour de Rothbart fait disparaître Odette et entrer les cygnes. Le deuxième acte est LA référence du Lac car c’est le seul de la version d’origine qui a été transmis. Les
accents vers le sol, que ce soit dans les bras des cygnes ou dans les r sont très bien marqués. Patrice Bart nous expliquait lors de la rencontre autour du Lac des Cygnes que les accents doivent
être marqués vers le bas, car le prince retient le cygne, il ne veut pas qu’il s’envole. Je n’ai pas trouvé les quatre petits cygnes très beaux. D’abord ils nous ont collé trois grandes et une
petite danseuse, bonjour l’équilibre ! La différence de taille m’a gênée surtout dans une telle compagnie où on recrute des danseuses suffisamment « calibrées » (excusez moi du terme…) pour en
accorder quatre. Je n’ai pas aimé leur façon de faire les têtes. Ce n’était pas « lié » mais haché, avec une direction de tête sur un temps. Cela n’empêche pas au pas d’être très applaudi,
comme toujours. Je lui ai préféré les grands cygnes, bien plus dansé et aérien. La belle Sara Kora fait une nouvelle fois une belle performance dans ce pas. Le corps de ballet que j’avais trouvé
en difficulté l’an dernier dans Casse
Noisette, avec les pas de Noureev, me semble bien meilleur dans ce ballet. A jardin où je suis placée, Lucie Fenwick tient son rang avec une grâce toute particulière. La coda qui est mon
passage préféré, m’émeut beaucoup et je ne suis pas avare en applaudissements.
Je profite de l’entracte, un peu étourdie par la beauté de ce conte, pour me dégourdir les jambes et écouter ça et là les avis des spectateurs et des quelques membres de l’AROP que je croise. Je
me replonge aussi dans le programme qui a quelque peu changé par rapport à celui de 1997 qui se trouve dans ma bibliothèque.
L’acte III est une suite de réjouissances dont il faut à nouveau noter les performances de Sarah Kora Dayanova et de Sabrina Mallem en sévillanes. On m’a d’ailleurs demandé pourquoi les garçons
ne venaient pas saluer à la fin du 4ème acte. Ils saluent la reine à la fin des danses traditionnelles, mais pas le public et c’est dommage de ne pas féliciter aussi le corps de ballet masculin.
Stéphane Phavorin signe un Rothbart magnifique, démoniaque et malicieux. Emilie Cozette très théâtrale en Odile interprète très bien le trio dans lequel elle montre ces deux visages, la douceur
vers le prince, la ruse et le maléfice vers son père Rothbart. Le pas des six fiancées est joliment dansé. Aubane Philbert et Laurène Lévy y sont pour quelque chose. La promesse fait à Odile,
emporte le prince dans un chagrin profond quand il aperçoit Odette derrière la fenêtre du palais. J’aime beaucoup le quatrième acte, je le trouve très tragique. Odette ne redeviendra jamais une
princesse et la danse d’Emilie Cozette en est transformée.
Le dernier envol de Rothbart avec sa proie me laisse bouche bée, oui le Lac est bien le plus beau ballet au monde.
© Laurent Phillipe/Fédéphoto
2 DÉCEMBRE 2010 À 19H30
ODETTE / ODILE | Emilie Cozette |
LE PRINCE | Karl Paquette |
ROTHBART | Stéphane Phavorin |
LA REINE | Béatrice Martel |
LE PAS DE TROIS | Myriam Ould Braham Ludmila Pagliero |
LE PAS DE TROIS | Christophe Duquenne |
SOLISTE CZ | Charline Giezendanner |
SOLISTE CZ | Axel Ibot |
SOLISTE ESP | Sabrina Mallem Sarah Kora Dayanova |
SOLISTE ESP | Audric Bezard Florian Magnenet |
SOLISTE N | Mélanie Hurel |
SOLISTES N | Emmanuel Thibault |
4 petits cygnes Charline Giezendanner, Lucie Clément, Daphnée Gestin, Éléonore Guérineau
4 grands cygnes Héloïse Bourdon, Sarah Kora Dayanova, Sabrina Mallem, Vanessa Legassy.
A lire sur les blogs, le compte rendu d’Amélie, de Palpatine, de Cams, de Fab.
Et une petite vidéo d’Aurélie Dupont parce qu’elle me manque beaucoup sur la scène de l’ONP. Petite pensée pour la belle étoile.
« Le Lac n’est pas mon ballet préféré, mais c’est le plus beau ballet du monde. » Il me semble que cette phrase sort de la bouche de Guillaume Gallienne 😉
Voila une critique très jolimen écrite 🙂
Comme tu l’as lu chez moi, j’ai été moins emballée. Pas de grand frisson, pas de magie, même si il y a toujours quelque chose dans ce ballet qui sauve la soirée (ahh, les 32 cygnes du 4e
acte…).
J’ai trouvé ça très froid dans le 1er. Et Emilie Cozette n’a toujours pas eu d’emprise sur moi. Techniquement, je préfère des développés plus amples à la Agnès Letestu, mais c’est une question de
goût, tout comme son travail des bras. Mais en-dehors de l’aspect technique, elle ne m’a pas touchée le 29. Pour moi, elle « fait semblant », mais elle « n’est pas ».