Kaguyahime ou la princesse de lumière resplendissante

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Il est des chorégraphes qui savent inventer un langage si particulier que chaque seconde en devient iréelle. En remontant Kaguyahime pour l’Opéra de Paris, Kylian offre à mon sens le plus beau ballet de la saison. Je n’avais pas pu assister à la répétition générale, j’avais donné ma place, c’est donc pleine d’attentes que je me suis assise. Huit rangs devant moi, j’aperçois Agnès Letestu qui discute avec Brigitte Lefèvre, Laurent Hilaire (toujours aussi chic avec une chemise d’un blanc impeccable) et Jiri Kylian. L’ambiance est toute particulière. Les musiciens japonais participent de cette ambiance et renforcent l’attente qui animent les spectateurs. Puis vient le défilé des politiques; ces mondanités me font sourire. Je me demande toujours si elles sont sincères ou si du moins elles peuvent le devenir. Je feuillette le programme, lit en diagonale l’argument, l’impatience me guette.

Premier acte:  » parmi ces bambous, il y en eut un dont le pied jetait un vif éclat. Intrigué le vieillard s’approcha et vit que la lumière provenait de l’intérieur de la tige. il l’examina: il y avait, assise là, une personne humaine, haute de trois pouces, d’une extrême beauté ».

Kayugahime est une princesse lunaire (Marie Agnès Gillot) qui descend sur Terre. Elle rencontre des villageois qui lui font la cour, mais elle se refuse à eux ne voulant pas s’enfermer dans un seul amour. Cinq villageois persistent dans cette séduction. Elle leur lance des défis  dans lesquels ils échouent. Pour la majorité de la princesse, les villageois organisent une grande fête qui va être perturbée par de riches citadins qui ont vent de la beauté de la jeune femme.

Ce premier acte nous plonge dans un univers merveilleux. La musique qui démarre est assez stridente, presque sourde, elle installe le spectateur dans un autre univers pour qu’il soit fin prêt à écouter ce conte. Dès les premiers gestes de Gillot, je découvre le langage que Kylian a utilisé pour cette pièce. Il est très fluide comme seul sait le faire Kylian, mais très différent de ce que j’ai pu voir auparavant chez lui. On sent que comme à son habitude la musique est la source première d’inspiration. Marie Agnès Gillot contorsionne son corps et brille d’une lumière éclatante du fond de la scène. Elle se replie sur elle même pour mieux déployer ses jambes couleur de lune.

Les danses des cinq prétendants sont absolument merveilleuses. La tension monte peu à peu, les tambours retentissent, la chorégraphie, d’abord très abstraite s’imprègne peu à peu de ce conte japonais. Les mouvements sont tellement loin de ce que peut offrir le langage contemporain actuel que c’est un véritable voyage que nous offre Kylian. Bravo aux cinq danseurs qui furent absolument parfaits, Mathias Heymann et Alessio Carbone en tête. On entre véritablement dans l’histoire avec l’entrée des villageoises, et la guerre avec les citadins. La violence de la chorégraphie et de la musique montre toute la fragilité de cette princesse. La beauté engendre guerres et conflits. Quand les villageois se résignent et profitent de cette douce lumière, les citadins veulent la posséder à n’importe quel prix. On pourrait croire à une vision manichéenne, en outre par le choix des costumes, mais je crois qu’il y a quelque chose de bien plus complexe, semblable à la nature humaine. Le langage chorégraphique de Kylian permet d’exprimer avec aisance cette complexité. La beauté innée de la princesse ne sera d’éphémère, il faut s’y résigner, car tôt ou tard elle retournera vers sa boule lumineuse.

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Deuxième acte: « Kaguyahime soudain ne fut plus qu’une ombre. Décontenancé et dépité, il comprit qu’en vérité, elle n’était pas de nature commune… (…) L’Empereur cependant, ne parvenait pas à engiguer le cours de ses pensées d’amour. (…) Il lui adressa ce poème:  » A l’heure du retour, je me sens tout envahi de mélancolie. Je m’arrête, me retourne pour Kaguyahime la rebelle. »

Au deuxième acte, tout devient mouvement de façon encore plus explicite. Les musiciens courent sur scène et tapent sur des tambours venus du Soleil levant. Ils participent de la guerre qui éclate entre villageois et citadins. Les combats sont fous, tous les sens sont appelés à regarder ce spectacle incroyable. Le décor est en mouvement lui aussi, il est personnage à part entière. C’est d’ailleurs par le décor qu’apparaît l’Empereur Mikado. Le tissu doré est jeté sur scène. Mikado vient ensuite, comme voulant briller lui aussi par son statut et ses apparats divins. De cette rencontre naît l’amour entre les deux êtres. L’empereur tente de l’enfermer mais n’y parvient pas. La scène est superbe, Kaguyahime souffre car elle sait que cet amour ne va pas durer. L’Empereur ne peut y croire, et pourtant il est aveuglé par la pleine Lune qui rappelle sa princesse. C’est toute la salle qui est aveuglée par cette Lune formée ici par des miroirs éclairés. La scénographie est si troublante, si belle… Un jet de tristesse parcourt mon corps au départ de la princesse vers sa Terre d’origine. Elle part vers un infini qui forme une boucle avec sa descente sur Terre du premier acte, un mouvement circulaire dans tout son corps qui ne s’arrête qu’à la tombée du rideau.

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« L’Empereur déploya la lettre et quand il la lut, une immense douleur l’envahit et il ne voulut plus manger ni s’adonner à aucun divertissement…(…) Il composa ce poème:  » De ne plus vous voir, moi qui dans un flot de larmes baigne désormais, à quoi donc me servirait la liqueur d’immortalité ». 

Un bravo résonne quand le rideau touche le bas de la scène. La salle applaudit puis se lève. Tout l’Opéra Bastille est debout. Kylian est assommé de bravo. J’ai rarement vu une telle unanimité surtout à Bastille. Kaguyahime est dans conteste le ballet de la saison. Il illumine tout le reste, il rayonne. C’est une joie telle qui m’envahit en sortant de la salle, que je voudrais le revoir immédiatement. Aussi fou que cela puisse paraître il reste des places, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

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L’article du monde est ici.
La fiche Opéra de Paris est .

 

Maki Ishii Musique
Jiří Kylián Chorégraphie
Michael Simon Décors et lumières
Joke Visser Costumes

 

  • Distribution du vendredi 11 juin 2010
KAGUYAHIME Marie-Agnes Gillot
MIKADO Stéphane Bullion
VILLAGEOISES Ludmila Pagliero
Amandine Albisson
Laurene Levy
Charlotte Ranson
Caroline Robert
VILLAGEOIS Mathias Heymann
Josua Hoffalt
Alessio Carbone
Julien Meyzindi
Florian Magnenet
Adrien Couvez
LES 2 COMPAGNONS Christophe Duquenne
Julien Meyzindi

La vidéo version NDT donc dans une scénographie un peu différente de celle que vous verrez à l’Opéra de Paris

 

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