Après Béjart, le coeur et le courage

 

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« Les enchanteurs pourront bien m’ôter la bonne chance ; mais le cœur et le courage, je les en défie.”

Don Quichotte

 

C’est sur cette phrase que le film se termine. Le documentaire d’Arantxa Aguirre se présente comme une plongée dans la compagnie du Ballet Béjart Lausanne
après la mort de Maurice Béjart le 22 novembre 2007. Le film jongle entre des interviews et un caméra plantée dans cette compagnie.

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Le film s’ouvre sur Gil Roman dansant à l’Opéra de Paris. La première interview est accordée à  Brigitte Lefèvre, après laquelle
s’enchaînent de nombreuses interviews dont Claude Bessy, une princesse iranienne, un chauffeur de taxi de Lausanne, la maire chargé de la culture de Lausanne (qui finance la compagnie à hauteur
de 4,5 millions d’euros), Jean Christophe Maillot, Plissetski, sans oublier les danseurs du BBL. En arrivant à la séance avec Fab, et avoir discuté avec une autre balletomane (à qui je fais un petit clin d’oeil en passant), nous nous
installons confortablement et nous repèrons José Martinez et Agnès Letestu, assis au fond de la salle. L’introduction de la réalisatrice ne fait pas trop rêver. Elle nous parle de ce qu’elle a
filmé à savoir de la peur, de la fatigue, toute une floppée de mots assez angoissants… Or je découvre une film qui parle de vie, d’amour, de l’avenir. C’est cela qui m’a le plus marqué. Chaque
personne qui parle de Maurice Béjart a un sourire, presque complice comme si il était là, mais parce qu’il est là avec tous ces danseurs, il les accompagne. Chacun sait que Maurice Béjart était
bien plus qu’un chorégraphe ou un danseur, c’était un maître de vie, qui avait une philosophie d’amour et de partage immense. C’est cet amour qui déborde dans le film à travers tous les mots des
danseurs qui l’ont tant aimé. Il n’est jamais question de nostalgie dans ce film. Pas de larmes en parlant du maître disparu. Non il est question de volonté, de courage, de force, d’avenir.
Maurice Béjart compare sa compagnie à un corps fait de cellules, qui meurent, mais surtout d’autres renaissent. C’est la mission qu’a Gil Roman entre les mains. Il doit faire vivre la compagnie,
créer pour elle. On voit le travail des danseurs au quotidien, les difficultés de la création, les bonheurs aussi, le stress, l’attente, l’excitation. Beaucoup d’archives, de photos de vidéos, de
mots de Béjart à travers sa voix ou juste des mots qui flottent sur l’écran.

Ce qui m’a plu dans ce film c’est l’amour des danseurs pour leur compagnie, la qualité de cette compagnie extrêmement vivante, qui mord la vie, qui ne se retourne pas, qui avance toujours en
regardant vers l’avenir. J’ai été profondément touchée par Gil Roman dans le film et ensuite dans l’entretien avec le public. Je le trouve toujours juste, d’une sensibilité hors normes. J’ai été
assez secouée par ses mots, son regard, très intense, très profond.

J’ai moins aimé la réalisation, qui manque un peu parfois de dynamisme, mais cela n’enlève rien à la qualité du propos.

Il faut aller voir ce film, alors prenez vos agendas et rendez-vous le 19 janvier!

 

 

«Il m’a fallu des années pour sortir cet artiste incomparable qu’est Gil Roman, du maquis mental où il s’était enfermé avec ses fantasmes, ses complexes. Je ne vois que lui pour continuer mon
oeuvre. Nul autre que lui..» Béjart

 

 

 

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Je vous transcrits l’entretien avec Gil Roman et Arantxa Aguirre qui a eu lieu après le film.

 

Spectateur : Tout le long du film, vous vous brutalisez. On voit que vous voulez vous protéger. Depuis vous arrivez à lever le pied?

 

Gil Roman : Pas encore (rires). Mais je viens de faire une nouvelle création, c’est plus léger.

 

Spectateur : Le film est un préambule, comme une renaissance du BBL. Quand aura lieu votre prochaine tournée?

 

Gil Roman : La compagnie n’a jamais arrêté de tourner. Nous faisons plus de 80 spectacles par an. Beaucoup de gens, bon sauf les parisiens (rires) ont vu Aria.
Il a été vu dans de nombreux pays. Nous allons faire une tournée en France mais nous n’avons pas de date parisienne.

 

Spectateur : Arantxa Aguirre, pourquoi avoir choisi Béjart comme thème?

 

Arantxa Aguirre : J’ai été marquée par l’expérience Béjart. C’est une leçon de vie. Toute mon expérience a un lien avec Béjart. J’ai toujours rêvé de faire un
documentaire sur Béjart. Là c’était devenu une nécessité.

 

Spectateur : Bravo c’est magnifiquement filmé. Existe t-il un code, une notation en danse comme en musique?

 

Gil Roman : oui tout est écrit. Il existe plusieurs écoles d’écritures [ notation Laban, notation en feuillet etc…]. Moi j’ai une base classique, tout comme Maurice.
Parfois il y a du travail d’improvisation quand on cherche quelque chose mais pas tant que ça. Tout est écrit mais rien n’est noté. Maurice était contre la notation. Il disait tout le temps qu’un
ballet disparaît si il doit disparaître. Pour reprendre un ballet on travaille avec la vidéo, mes souvenirs, et ceux des anciens de danseurs de la compagnie qui viennent. Beaucoup de tradition
orale. Maurice disait qu’avec la notation il manque quelque chose, je crois beaucoup à cela.

 

Spectateur : Est-ce que vous dansez encore vous-même? Quand est ce qu’on peut vous voir?

 

Gil Roman : Il faut vous dépêcher. (rires) La création, cela me prend beaucoup d’énergie. Je dois danser dans un an. Je veux remonter Notre Faust.

 

Spectateur : Dans vos créations comment choisissez vous vos musiques ?

 

Gil Roman : J’ai beaucoup de problèmes avec la musique déjà existante. Je prends des créations pour la musique. Je travaille avec les percussionnistes de l’école [
la Rudra School je suppose]. C’est très agréable car on travaille à partir de rien. Puis naissent des images. J’ai besoin de la musique pour la
chorégraphie. La musique déjà existante m’emmène souvent dans le passé alors j’évite car je deviens mélancolique. La création musicale est plus nourrissante que de travailler sur une musique qui
existe déjà.

 

Spectateur : Dans le film on comprend ce « droit-mission » qui vous a été donné : transmettre des oeuvres de Béjart, créer pour la compagnie et inviter des chorégraphes.
On ne voit pas ce dernier point dans le film, qu’en est-il?

Est-ce que c’est facile d’exister comme Gil Roman chorégraphe dans une compagnie qui porte le nom de Béjart?  Vous n’avez pas envie de partir pour créer pour d’autres compagnies?

 

Gil Roman : Je n’ai pas été dans l’ombre mais je suis dans l’oeil de mon maître. Je suis dans cette compagnie depuis l’âge de 19 ans, j’en ai 50. C’est ma compagnie,
c’est ma famille, mes danseurs. Maurice était mon maître.

La compagnie a reçu 6 chorégraphies nouvelles. Ils ont eu l’occasion de se nourrir autrement. De toutes façons, on danse Maurice autrement. Je ne veux pas d’une compagnie musée. Les danseurs
doivent apporter leur énergie d’aujourd’hui. J’aime ma compagnie. J’ai 50 ans mais je suis un jeune chorégraphe qui a besoin de sa compagnie. Je suis un apprenti. On apprend ensemble avec mes
danseurs.

 

Spectateur : On voit les difficultés du passage du studio au plateau. Comment faites-vous pour gérer?

 

Gil Roman : J’ai commencé ma danse dans des palais des sports. Il faut beaucoup d’énergie car il faut porter loin. C’est comme au théâtre, il faut projeter son texte.
C’est pareil dans la danse. Il faut avoir une intériorité très forte. Il faut d’adapter à l’espace, mais il n’y a pas de secret, je fais avec. J’apprends je ne sais pas.

 

Spectateur : Dans combien de salles est diffusé le film?

 

Arantxa Aguirre : 10 salles dans toute la France.

 

Spectateur : Combien de temps s’écoule entre la création de la musique et la première scène?

 

Gil Roman : C’est un cycle interrompu. La création se fait bouts par bouts. J’ai commencé l’été et on a présenté Aria en décembre.

 

Spectateur : Un grand merci pour la justesse du film. Le film montrait vraiment la connivence entre le passé et l’avenir à travers un lien d’amour. Ce qui me frappe
c’est l’intensité que je retrouve. Cela augure de bonnes choses. Je suis aussi touchée par cette humilité. D’avoir reçu ce don, ce testament, je ne sais pas comment le nommer est une bonne chose.
J’espère qu’on sera nombreux à relayer ce film.

 

Spectateur : On voit dans le film que vous étiez préoccupé par l’accueil du public. Mais le public est bête. Regardez le nombre de fois dans l’histoire où le public
s’est trompé.

 

Gil Roman : Chacun pense ce qu’il veut. Je ne pense pas comme vous. J’échange. Je m’emmerde tout seul. Je ne comprends mes ballets que si je les vois avec un public. Je
veux aller vers les gens. Il ne faut pas tricher ni mentir. Il ne faut jamais oublier qu’il n’y a pas d’artistes si il n’y a pas de public.

 

Spectateur : Bravo j’en ai encore le coeur qui bat. Dans ces moments d’insécurité comme on le voit dans le film, il y a t-il des choses, ou des paroles de votre maître
qui vous aident?

 

Gil Roman : On a tous des angoisses, on essaye de se dire que ça va marcher, on essaye de tricher avec soi même. Si ça passe avec le public, la récompense est là. Et le
lendemain il faut tout recommencer.

 

Spectateur : Le coeur et le courage peut être une réponse…

 

Spectateur : merci d’avoir mis dans votre film, des photos et des vidéos d’archives d’anciens danseurs de la compagnie.

 

Gil Roman : Maurice a su générer un certain nombre de gens. Il n’y a pas de notion de coupure. Maurice a fédéré tout ça.

 

Arantxa Aguirre : Je voulais remercier tous les gens qui ont participé. Je n’ai pas réussi à leur donner le temps qu’ils méritaient, parce que beaucoup d’entre eux
pourraient aussi faire l’objet d’un documentaire. Je devais raconter mon histoire.

 

 

 

  Après l’entretien, Gil Roman a filé au théâtre de la ville pour participer à l’émission de radio de Charlotte Lipinska, Voulez vous sortir avec moi? Vous pouvez réécouter l’émission en la podcastant.

 

Après tant d’émotions, que font deux balletomanes qui se rencontrent, ben elles parlent de danse! Mais pas que d’ailleurs nous nous quittons sur une question sociologique. Chers blogueurs, chers
blogueuses, qui a eu les genoux khâgneux pendant ses études?

 

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« Les enchanteurs pourront bien m’ôter la bonne chance&nbs …

2 réflexions au sujet de “Après Béjart, le coeur et le courage

  1. Fée Dragée says:

    Un immense merci pour ce moment cinématographique partagé !

     

    Et bravo pour la transcription de la discussion d’après projection ! vous êtes vraiment très habiles à la prise de notes !

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